Frédéric HELBERT, journaliste d'investigation

Notre rôle n’est pas d’être pour ou contre, il est de porter la plume dans la plaie. (Albert Londres)


Moines de Tibhirine: l’autopsie enfin possible en Algérie. Un pas vers la lumière? Enquête.

Publié le 01/12/2013 à 18h58 | , , , , , , , , , , ,  | Écrire un commentaire

Tout aura été fait dans le plus grand secret. Jusqu’à l’annonce enfin de l’accord algérien. Ie vendredi 22 novembre selon une source judiciaire, le juge Marc Trévidic reçoit, un  « ordre de mission » pour se rendre… en Algérie.Au plus vite.  Le magistrat qui n’y croyait plus. « On lui disait sans cesse que cela allait se faire, mais il ne voyait rien venir. Les contacts qu’il avait avec le magistrat de liaison en poste à Alger étaient réguliers, mais ça trainait, ça trainait. Et puis tout s’est subitement débloqué » dit un de ses proches. Le lundi suivant au soir, voila donc le juge à Alger. rencontre son homologue, qui « drive » un dossier encore brûlant. Le juge veut rester prudent. Rien ne filtre alors des entretiens. Qui vont pourtant, en une journée, conduire à un rebondissement pouvant  s’avérer déterminant: Les autorités algériennes acceptent enfin qu’une autopsie soit pratiquée sur les seules têtes des moines retrouvées après leur enlèvement puis leur assassinat! Le seul moyen de déterminer -peut-être- avec l’apport des techniques dé pointe de la médecine légale, les circonstances exactes dans lesquelles les moines ont été suppliciés, 17 ans après la tragédie. Une énigme jamais élucidée.

La demande d’autopsie, dont j »avais révélé l’existence en janvier 2012, était parvenue en Algérie, sous la forme d’une commission rogatoire internationale datée du 16 décembre 2011 Un document de 7 pages daté du 16 décembre 2001 rédigées en français, puis traduites en arabe, envoyées à la Chancellerie chargée de transmettre le « brulot ».

Le juge y détaille clairement ses objectifs: Chaque mot est pesé et son « plan d’action » conçu soigneusement dans le but d’agir le plus efficacement possible et dans le plus grand respect des dépouilles des Moines, avec l’accord des familles parties civiles au dossier. Le magistrat souhaite se rendre à Tibirine, dans le cimetière du monastère ou reposent les religieux, conformément à leurs dernières volontés. Avec lui, une équipe restreinte: 2 médecins-légistes, un expert en empreintes génétiques et un photographe de l’identité judiciaire. Le magistrat-instructeur veut exhumer les crânes des moines, pratiquer une identification ADN par comparaison avec les échantillons prélevés auprès des familles,  puis les autopsier, avant que de remettre en terre les victimes. 

C’est le seul moyen de tenter de déterminer enfin les causes de la mort des moines, de trouver d’éventuelles réponses à des questions terribles mais déterminantes sur les causes et les circonstances réelles de l’assassinat des moines.  Car aussi invraisemblable que cela puisse paraitre, à ce jour, aucune autopsie, qui aurait pu permettre d’éclairer la Justice n’a été réalisée après la découverte des seules têtes des moines. Leurs corps n’ayant jamais été retrouvés. Plus incroyable encore, cette réalité incontestable qui fonde la requête se heurte aux déclarations faites dans le cabinet du juge d’instruction par l’ambassadeur de l’époque à Alger, Michel Léveque. Mais démenties formellement par  le médecin de la gendarmerie de l’ ambassade! C’est ce qu’écrivent  le juge Trévidic et Nathalie Poux, en charge du dossier également au pôle anti-terorriste de Paris, en octobre 2010, lorsqu’ils adressent une de ses nombreuses requêtes de déclassification et communication d’informations « protégées au titre du secret de la défense nationale », NDLR: documents classés « confidentiel-défense ».

« Dans un rapport déclassifié du 2 juin 1996, Monsieur Michel Léveque, alors ambassadeur de France à Alger avait détaillé des constatations médico-légales attribuées au médecin militaire. Or le médecin-chef Tantely Ranonarivony, nous a indiqué ne pas avoir fait les constatations qui lui sont attribuées, ou n’en avoir aucun souvenir… De fait il n’était pas médecin-légiste, mais médecin généraliste depuis seulement une année. Le consul de France en Algérie de l’époque, monsieur Francis Ponge, n’a pour sa part gardé aucun souvenir d’un quelconque examen lors de leur venue commune à l’hôpital militaire. Par ailleurs le médecin-chef nous a indiqué ne pas se rappeler avoir fait un rapport écrit de son déplacement à l’hôpital militaire. Monsieur Michel Leveque. Face à ses contradictions il nous est donc indispensable de déterminer s’il existe où non, des constatations médico-légales effectuées sur les têtes des sept victimes par un médecin français. Nous ne disposons en effet d’aucune autopsie, d’aucune radiographie, et d’aucun rapport médico-légal émanant des autorités algériennes.« 

Voila donc ce qui, après d’autres découvertes infiniment troublantes, les révélations de certains, le silence où la mémoire défaillante des responsables politiques français de l’époque dans son cabinet, a conduit Marc Trévidic à demander officiellement cette autopsie en  2011. Non sans avoir auparavant consulté les familles parties civiles au dossier. C’est au cours d’une réunion secrète, au coeur du Palais de Justice de Paris, devant une trentaine de personnes que le juge va expliquer son projet. L’affaire est délicate, l’ambiance tendue. Mais le magistrat saura trouver les mots pour emporter l’adhésion du petit groupe de celles et ceux qui luttent avec courage depuis des années pour que  » des hommes de Dieu aient aussi droit à la Justice des hommes » dira Françoise Boegat, nièce de frère Paul. Le juge explique qu’il a fait des recherches, qu’il a consulté d’éminents experts de médecine légale qui assurent qu’une autopsie est encore possible alors que le crime date de 1996. L’accord des familles est d’autant plus nécessaire que le magistrat souhaite faire un prélèvement d’ADN, aux fins d’une identification formelle des dépouilles des moines.

Dans sa démarche, le magistrat peut compter sur le soutien sans failles d’un homme de droit, réputé pour sa rectitude, sa rigueur, son professionnalisme, le très combatif avocat Maitre Patrick Baudoin, revenant sans cesse à la charge, allant au final jusqu’à interpeller ouvertement le Président François Hollande. Lequel a joué un rôle actif  selon plusieurs sources auprès de son homologue AbdelAziz Bouteflika qui était venu en France, au Val de Grace, pour y être soigné il y a quelques mois . « Les relations entre la France et l’Algérie sont toujours compliquées, mais il y a des leviers politiques, diplomatiques, économiques et des liens  qui peuvent aussi toujours faire bouger les choses » explique un fin connaisseur. Le Président a reçu les familles des moines et leur représentant à l’Elysée en octobre dernier. Pour leur dire sa volonté de faire avancer les choses. Paroles suivies d’effet, puisque alors que l’espoir semblait s’envoler, le Juge Trévidic est subitement parti en Algérie pour la première fois et  revenu d’Algérie avec l’autorisation de pratiquer l’autopsie. Bémol: les autorités algériennes n’ont pas accepté que Marc Trévidic puisse interroger directement 22 personnes qu’il souhaitait entendre. Parmi elles l’ancien garde du corps de « l’émir du GIA de l’époque Djamel Zitouni, éliminé après l’affaire des moines dont il revendiqua (communiqué n°44 du GIA) la mise à mort. D’autres membres alors actifs du GIA, notamment dans la région de Medea ou furent retrouvés officiellement les têtes, des islamistes repentis, mais aussi des hommes de l’armée et des services de renseignement algériens dont les noms sont revenus avec instance lors de l’enquête. « Une autopsie c’est bien, c’est même formidable même après tant d’attente et de désillusions aussi bien coté français qu’algérien, dit un enquêteur, mais l’objectif du juge était de pouvoir parvenir à un résultat complet, en comparant, analysant à la fois les résultats de l’autopsie et les déclarations des un et des autres. La justice algérienne se voulant souveraine en la matière  a refusé mais a assuré qu’elle procéderait elle-même aux auditions dans la mesure du possible.

Mais l’autopsie, si elle permet un résultat probant, sera une formidable avancée dans un dossier ténébreux qui se heurte à la raison d’état. Elle permettra peut-être de savoir dans quelles conditions exactement ont été tués les moines. S’ils ont reçu des impacts de balles où non, s’ils ont été décapité post-mortem où non. Elle permettra peut-être de faire progresser une thèse où une autre. Et au juge Trévidic qui ne renonce jamais de relancer une enquête où tant de zones d’ombres demeurent, et où la diplomatie française n’a pas à s’enorgueillir  du rôle qu’elle a joué:

En 2009, l’homme qui a fait basculer le cours de cette enquête, j’y reviendrai, s’appelle le général Buxhwalter, ancien saint-cyrien, ex-membre de la DGSE, et attaché de défense à Alger,  au moment des faits, révélant la possible thèse d’une bavure militaire, ouvrant sur celle d’une possible manipulation des islamistes par les services algériens, déclare lors de son audition avoir rédigé, en 96, juste après la découverte  des têtes des religieux.  un rapport qu’il adresse à sa hiérarchie. Il y écrivait: « Le dénouement tragique laisse pour l’heure sans réponses, de nombreuses interrogations, notamment sur l’identité des ravisseurs ou des commanditaires, sur le lieu de détention des moines, sur d’éventuelles opérations militaires qui auraient causé la mort, ou précipité l’exécution des otages. 

Le rapport transmis à toutes les autorités de tutelle du général (l’ambassadeur et en tant qu’attaché militaire, le Ministère des Armées et son chef d’état-major ) est resté « sans suites. L’ambassadeur a imposé le black-out total » précise le général Buchwalter.

L’enquête , qui a mis tant de temps à être déclenché, est donc loin d’être close. C’est un combat de longue haleine.  « Mais c’est un pas d’importance » qui a été franchi avec l’accord des algériens dit un homme de la DCRI. Dans l’entourage de Marc Trévidic, on confie que le juge ne verse dans aucun triomphalisme. Il était prudent avant l’accord, i le reste. Il fait du « step by step » (étape par étape) dans un dossier au nombre incalculable de tiroirs. Désormais il lui faut organiser la mission. Et le juge doit procéder au choix de ses experts. Selon les sources du blog, le juge et son équipe devraient rester au moins quatre jours sur le terrain vers la fin du mois de février prochain. Quatre jours pour procéder minutieusement à l’exhumation, puis ensuite aux premiers examens, aux comparaisons ADN, aux prélèvements, photos, radiographies…. Tout ce qui devrait permettre de rassembler le maximum d’informations.Des experts algériens seront présents aussi sur place, et recevront en double tout ce qui sera prélevé, avant une remise en terre. Puis le juge et son équipe rentreront en France. Là, d’autres experts, et d’autres matériaux ultra-sophistiqué seront utilisés pour analyser les prélèvements en tout genre et éléments collectés. C’est à ce moment là que débutera véritablement le processus d’autopsie. Etape décisive si elle permet un résultat probant. Mais certainement pas la dernière dans l’interminable quête de Justice, de vérité et de lumière sur l’assassinat des moines de Tibhirine.  

Frédéric Helbert


Recherche sur le blog

Entrez un terme à rechercher :

Suivre sur les réseaux

Suivre sur FaceBook
Suivre sur Twitter
Suivre par RSS

FHnewsTV

Voir l'article de cette vidéo »

À propos de l'auteur

Grand-reporter de guerre, (souvent), journaliste d'investigation, multi-médias, tous terrains, membre de l'association de la presse judiciaire, passionné par les phénomènes terroristes depuis le début de ma carrière à Europe11. Tropisme assumé pour le Moyen-Orient et la péninsule arabe-musulmane. Jamais rassasié d'infos,  accro à tous types d'enquêtes et reportages, j'aime explorer le dessous des cartes de dossiers sensibles. En toute liberté. Vos témoignages, vos infos, vos commentaires sont  bienvenus!

Rubriques

Tags

Archives


©2024 Fréderic HELBERT - Administré sous WordPress - Liberté Web - Mentions légales -  RSS - Haut de page