Frédéric HELBERT, journaliste d'investigation

Notre rôle n’est pas d’être pour ou contre, il est de porter la plume dans la plaie. (Albert Londres)


Catastrophe de Brétigny-sur-Orge: Embouteillage politique, emballement médiatique.

Publié le 14/07/2013 à 16h55 | , , , , , , , , , , ,  | 2 commentaires

 

C’est un urgentiste du SAMU qui le dit: « Ils étaient là, comme des « mouches », arrivant les uns après les autres, ou en essaim, avec leurs cohortes de gardes du corps, de conseillers, et suivis comme il se doit par la horde des caméras, encombrant les itinéraires d’évacuation des blessés, prononçant tous les mêmes mots, la mine grave. De gauche, de droite ou d’ailleurs, faisant tandem avec la horde des caméras qui naturellement les suivaient, quand les politiques n’y allaient pas directement. Parfois les policiers assurant leur sécurité, écartaient non seulement les badauds, mais aussi des gens venus aider, voire certains secouristes d’un revers de main. Nombre d’entre nous, dont ceux « obligés » de faire un point, pour tel ou tel ministre étaient révoltés, mais la vague n’a jamais cessé. Ce fut un déferlement record. Jamais je n’avais vu cela, pas même Gare du Nord (56 morts, plus d’une soixantaine de blessés) A Brétigny. Ni lors du crash du Concorde. Jamais pareil défilé. Les politiques sont venus marcher sur un tapis rouge, rouge de sang.

Et pourtant le défilé n’a jamais cessé … le Président  de la République bien sûr, François Hollande, à qui l’on réservera le triste privilège de confirmer un premier bilan officiel… François Hollande toujours flanqué de Jean Paul Huchon, président du conseil régional, systématiquement dans le cadre TV…  Jean-marc Ayrault, le premier ministre, François Cuvillier, celui des transports, certes évidement légitime, mais qui prendra quand même le soin d’annoncer sur son compte Twitter son arrivée, Marisol Touraine (Santé) accompagnant J.M Ayraut, pour une improbable et tardive réunion de travail sur place. (ça fait toujours deux plans pour la télé…).

Normalement toujours en pôle, retardé parce qu’en voyage politique dans le Sud de la France, Manuel Valls, incontournable en ce genre de circonstances, recordman toutes catégories des déplacements de ce type, tout autant que le fut Nicolas Sarkozy en son temps, avait, le temps de revenir, missionné son porte-parole, à qui il la délègue si peu en temps normal, Pierre Henry-Brandet, chargé de dire, que le ministre de l’Intérieur, s’était tenu informé « minute par minute » de l’évolution de la tragédie » et qu’il allait arriver, tard, mais qu’il viendrait quand même. Et Valls est venu de retour de Nîmes, à minuit, soit plus de 6h après l’accident au milieu de nulle part, pour comme les autres dire comme les autres, sa compassion, que tout serait fait pour savoir la vérité, que le travail allait durer… Absurde.

Et puis nombre d’élus locaux ont fait « leur tour de piste » aussi: Jean-Paul Huchon (déjà cité), Jean-Vincent Placé, sénateur de l’Essonne, ont occupé également l’espace médiatique, et celui de la catastrophe. D’autres figures aussi, moins connues, mais en charge des affaires de Brétigny sur Orge, donc plus légitimes, étaient là aussi, réduites à jouer le rang des utilités dans le « malstrom audio-visuel »mais dont la présence comme celle du maire de la ville, visait à assurer la meilleure coordination entre tous les services engagés, nationaux et municipaux… Car être là était une chose nécessaire pour les uns au regard de la mobilisation et du travail à fournir, être là était nécessaire pour d’autres, dès lors qu’un passage par la case TV/Radio était assuré … « C’est le vice du système dénonce un vieux routier des médias. L’arrivée du « all news », puis du « hard news » dans le PAF (paysage audiovisuel français), la présence désormais immédiate des télés ou radios toutes infos, la capacité de chaque média de faire une édition spéciale évolutive sur son site net, ont  changé la donne. Le peu d’images de la catastrophe, la protection du site touché par un périmètre de sécurité élargi, devant permettre aux secouristes (médecins, pompiers, policiers) d’installer de travailler au mieux et au plus vite pour tenter de sauver des vies, installer des hôpitaux et centres de tri des fortune, protéger les évacuations sanitaires par ambulances ou hélicoptères, laisser les enquêteurs procéder aux premières constatations, sevrer les médias chargés de couvrir ces catastrophes d’images et de témoignages qu’autrefois l’on pouvait recueillir plus facilement, et pourtant, il faut nourrir l’antenne. Alors c’est la chasse au meilleur point de vue, même de loin, mais les images, (celles que l’on juge montrables), se faisant rare et tournant en boucles, les politiques ont compris le rôle qu’ils avaient où qu’ils voulaient bien jouer, le « bénéfice qu’ils pouvaient en tirer bien que la réelle utilité de leur présence ne soit nullement démontrée ». Sauf si l’on considère qu’être présent montre que l’on est « en charge », près des « vrais gens », qu’on se retrousse les manches, et que cette présence apporterait même presque une plus-value au bon fonctionnement des systèmes d’urgence, dans un pays pourtant éminemment  rodé à la médecine de catastrophe. Et sur les lieux d’une catastrophe où les politiques, à l’échelon national, n’ont, dans l’urgence, aucun rôle efficient à jouer…

 Les politiques ont fait que ce que l’on appelle en langage journalistique « meubler » . Car très vite, les choses se sont « figées » sur le théâtre du drame. La catastrophe n’était pas évolutive. L’accident avait eu lieu. Il n’y avait pas de risques secondaires éminents (incendies, explosion, pollution majeure),  les secouristes ont travaillé très vite, comme des forcenés, aidés par les cheminots, pour sauver ceux qui pouvaient l’être, désincarcérer les victimes, aiguiller les survivants vers les hôpitaux  les plus proches mobilisés, ou vers des cellules de soutien psychologique ou d’aide matérielle immédiate. L’enquête, elle aussi est allé vite, se dirigeant vers la « défaillance » dont l’origine reste à trouver d’une pièce technique d’aiguillage.  

Alors on les a vus défiler les uns après les autres, exprimer tous, leurs peine, la solidarité nationale, l’assurance que toute la vérité serait faite, répétant à l’envi que trois enquêtes distinctes étaient lancées, leur soutien aux secouristes, leur compassion envers les victimes et leurs proches etc.. etc.. Les informations peinant à arriver, les politiques se sont parfois mués en journalistes de deuxième main, révisant les bilans, confirmant telle info, en démentant une autre. Certains, bien loin de la scène, se sont précipités sur leurs comptes des réseaux sociaux comme Twitter, pour y aller de leur commentaire. Certains auraient mieux fait de s’abstenir. Ainsi Valérie Pécresse, (UMP) allumant la mèche, signalant une tension et des échauffourées à Brétigny.

L’affaire a alors pris une tournure nauséabonde, lorsque des rumeurs apparemment infondées, mais trop vite « balancées » ici ou là, ont fait état de l’intervention de CRS se battant avec des jeunes voulant détrousser des cadavres, puis de « caillassage  » de moyens de secours… Voila qui a affolé les réseaux sociaux, (Il y avait de quoi, et les proches du FN prompts à dénoncer la racaille faisaient claquer les tweets vengeurs) avant même une quelconque vérification de « l’info ». La rumeur a été démentie par la suite par toutes les autorités compétentes (Préfecture, Police, Pompiers, SAMU…) mais la « tuer » n’est pas oeuvre facile. Les « complotistes » qui osent tout, c’est à cela qu’on les reconnaît ont cru voir la marque d’une intervention venue d’en haut pour étouffer l’affaire…  

Cette catastrophe, qui a touché et endeuillé de nombreuses familles et dont le bilan est loin d’être définitif, cette catastrophe qui pose une fois encore la problématique d’une SNCF à deux vitesses (ce qui est là un véritable problème politique), méritait-elle cet empressement du personnel de la République, et des politiques de toutes obédiences, à venir, alors que l’urgence guidait encore, ramener leur « grain de sel » sur les lieux du drame. En fouillant ma mémoire, comme d’autres, je me suis souvenu de la plus terrible catastrophe ferroviaire contemporaine, demeurant dans les mémoires, catastrophe aux images et au bilan incomparable, survenue en 1989. Celle de la Gare de Lyon, ou deux trains étaient rentrés en collision, l’un pulvérisant littéralement une rame à l’arrêt Gare de Lyon. Un carnage. 59 morts, des centaines de blessés. Une catastrophe survenue en sous-sol en plein Paris. Alors à Europe1, j’avais pu dans la première demi-heure suivant le choc impensable, alors que tous les accès étaient bouclés, suivre à son arrivée le Préfet de Police de Paris, à l’époque Jean Paolini, venu constater l’horreur et inspecter le dispositif (300 pompiers et secouristes du SAMU) mobilisés pour travailler au coeur de l’enfer. Je me souviens de ces plaintes effroyables venant de l’amas de tôles enchevêtrées, où agonisaient des passagers, des bruits de scies, utilisées pour amputer des survivants, seul moyen de les dégager, des pleurs de certains secouristes au petit matin, une fois le « travail » achevé et alors qu’il n’y avait plus personne à sauver. Sur ce quai de la mort, à cette époque, je n’ai pas vu le moindre politique, venu polluer le travail des secouristes, celui des enquêteurs, je n’ai pas vu le Président Mitterrand, ou le Premier ministre Jacques Chirac « ramener leurs fraises », créant une bulle médiatique artificielle, pour mieux l’occuper et venir énoncer des évidences face à la caméra ou aux micros. En recherchant dans mes archives, j’ai retrouvé le numéro de « France-Soir », encore alors immense quotidien de l’info, capable de monter une édition spéciale sur le papier à n’importe quel moment. Ce n’est qu’en page trois, que l’on trouve un petit encadré,  la réaction de François Mitterrand, qui se trouvait alors à Hanovre, au 29ème Conseil européen. Et ne l’a pas quitté précipitamment comme il l’aurait pu. 

Autre temps, autre moeurs… A Brétigny-sur-Orge, les politiques, le Président de la République en tête, sont venus, en nombre record, beaucoup, incroyablement plus nombreux qu’à l’heure du terrible, de l’impensable crash du « Concorde », à Gonesse en 2000, (114 victimes) catastrophe que j’ai couverte aussi pour Europe1, et ou le Premier Ministre Lionel Jospin, avait fait le strict minimum médiatique…

A Brétigny, les politiques n’ont pas fait le voyage pour rien, ils sont venus « en file indienne » puis s’en sont retournés après un petit tour de piste dans  » l’enceinte » où les journalistes avaient droit de les suivre, un petit passage par le périmètre délimité par les autorités pour que les Télévisions et autres puissent assurer les duplex… Impératifs d’image et de com, poncifs enfilés comme des perles, goût immodéré pour la caméra… Capacité à allumer des débats n’ayant pas lieu d’être… Tout y était! Je ne suis pas sûr que l’info, dans cette affaire terrible survenue au seuil de l’été et des grands-départs, avec ce gavage d’interventions politiques, y ait gagné grand-chose, que les victimes ou leurs proches aient été rassérénés par cette omniprésence, que les usagers de la SNCF y voient là le signe de jours meilleurs pour la sécurité du trafic de seconde zone. Non vraiment, je ne suis pas sûr que les politiques empressés, aient en monopolisant l’espace médiatique fait avancer l’info. 

Seule, et de sinistre manière,  la société du spectacle y a trouvé son compte.

Frédéric Helbert. 


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À propos de l'auteur

Grand-reporter de guerre, (souvent), journaliste d'investigation, multi-médias, tous terrains, membre de l'association de la presse judiciaire, passionné par les phénomènes terroristes depuis le début de ma carrière à Europe11. Tropisme assumé pour le Moyen-Orient et la péninsule arabe-musulmane. Jamais rassasié d'infos,  accro à tous types d'enquêtes et reportages, j'aime explorer le dessous des cartes de dossiers sensibles. En toute liberté. Vos témoignages, vos infos, vos commentaires sont  bienvenus!

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