Frédéric HELBERT, journaliste d'investigation

Notre rôle n’est pas d’être pour ou contre, il est de porter la plume dans la plaie. (Albert Londres)


Afghanistan: Une guerre ingagnable- Rapport d’un haut-gradé français. DOC

Publié le 25/05/2012 à 14h03 |  | 1 commentaire

« La solution n’est pas dans la conquête du terrain par l’élimination de l’adversaire.
Il n’y a aucune victoire militaire à espérer ».

Extrait rapport d’un colonel français alors en poste en Afghanistan

« La décision politique prise par le président Hollande de retirer les troupes françaises du bourbier afghan est une décision de sagesse « . C’est un général français qui parle sous couvert d’anonymat. Il est publiquement astreint au devoir de réserve. Mais son appréciation repose sur un constat amer dressé par les hommes qui se battent sur le terrain. Ou instruisent l’armée afghane, participent à d’éternelles chouras… Sans pouvoir « fixer » une situation toujours aussi instable, précaire, dangereuse, face à des talibans toujours aussi offensifs et qui tiennent militairement la dragée haute à une armada occidentale pourtant dotée d’équipements de la plus haute technologie.

« Le terrain nous est hostile, dans le cadre d’une guerre asymétrique, les talibans ont démontré qu’ils pouvaient encore s’infiltrer partout et frapper à leur guise. des montagnes arides, peuplées de villages, jusqu’au coeur de Kaboul. Nous sommes perçus par la majorité des afghans comme une armée d’occupation dit encore le général français, et nous ne pouvons compter sur un gouvernement corrompu, divisé, miné par la lutte des clans. Nous perdons régulièrement des hommes, la rage au coeur, sans savoir pourquoi nous nous battons vraiment. Pour la France? franchement, j’ai des doutes »…

Il est vrai qu’à l’origine, il y a 10 ans, la France avait accepter d’engager quelques 900 hommes des forces spéciales, mais dans le cadre d’une mission très précise: Détruire les bases refuge d’al Qaida et trouver mort ou vif ben Laden. A ce titre la mission a été accomplie. Même si c’est au Pakistan l’année dernière seulement qu’OBL a été tué au cours d’une opération spéciale, « l’opération Géronimo ». C’est l’arrivée de Nicolas Sarkozy au pouvoir en 2007, sa proximité avec Georges Bush junior, la réintégration voulue de la France dans les rangs de l’OTAN, qui a bouleversé la donne, la doctrine et amené l’armée française, à être engagée massivement (jusqu’à 4000h) sur le terrain. Un engagement qui n’a pas permis de défaire les talibans. Ni de conforter un gouvernement crédible. Ni d’empêcher dans les villages reculés dits « libérés », les « traditions » de prospérer. Le Niqab pour les femmes. Pas d’école pour les filles… Un engagement aux but de guerre mal définis, mais qui a couté cher en vies humaines.

Les militaires ont alors adressé des rapports à leur hiérarchie, très clairs. Des signaux d’alerte. Que le chef des Armées qu’était Nicolas Sarkozy, n’a pas voulu voir. L’un de ces rapports a été rédigé par un officier supérieur, alors basé dans la redoutable vallée de la Kapisa placée sous « contrôle français » ayant longuement analysé la situation. Le rapport a été remis directement au Ministre de la Défense de l’époque sous mes yeux, ainsi que ceux de quelques autres journalistes, avec en prime de longues explications. Sur une base transformée en fortin et cible d’attaques qui n’ont jamais cessé. Rarement un officier-supérieur n’avait eu une vision aussi claire, et ne l’avait exprimé avec autant de clarté, parlant cash. Comme s’il voulait crée un électrochoc. De ce rapport, qui aurait pu être écrit hier, les principaux extraits qui expliquent l’impossibilité selon le colonel français rédacteur du rapport, de remporter une victoire militaire contre les hommes de l’insurrection afghane.

Le document porte le blason et l’entête du GTIA (groupe tactique inter-armes) KAPISA, « Task Force Korrigan »

Son titre:

Le rapport a été rédigé là-même ou François Hollande s’est rendu ce matin, lors d’une visite surprise, pour expliquer les conditions d’un retrait de 3400 français et de leurs matériels, encore stationnés sur le sol afghan, au sein d’une région, ou la guerre est selon le rédacteur du rapport, ingagnable militairement.

« La Kapisa explique le « chef de corps » qui ne manie pas la langue de bois, compte aujourd’hui beaucoup plus d’insurgés qu’il y a 5 ans. Pourtant dans l’intervalle, beaucoup ont été mis hors de combat mais la source n’est pas tarie, et pourra toujours fournir plus de combattants (…) L’élimination d’insurgés n’a réduit ni leur volume, ni leurs activités en Kapisa. En Kapisa, la vengeance est pratiquement une obligation sociale. Le réservoir est donc inépuisable et suffira toujours à compléter les groupes à l’abri, au fond des gorges ressérrées, hors de notre emprise permanente. (…) Tant que le quadrillage d’une zone et son élargissement avec ce que celles-ci supposent de destructions, l’enchainement fatal: plus de contrôles, de violences, de morts, de blessés, plus d’insurgés, sera difficile à briser. A cet égard, les pertes subies par les talibans ne peuvent être considérés comme autant de bulletins de victoire… Ce qui parait beaucoup plus concevable est de gagner la confiance d’une partie de la population. Ici la confiance vient du respect que l’on inspire, jugée sur notre façon d’employer la force, et d’après les bienfaits qu’apportent nos réalisations concrètes « .

Le militaire évoque alors des combats sévèrement condamnées par une Shura (assemblée de chefs), estimant que les militaires feraient mieux de participer à a sécurisation de la construction d’une route bitumée. Plus loin, on peut lire: « Il faut cesser de faire peur. Chaque fois que la sureté immédiate n’est pas en jeu,  nos soldats doivent présenter une attitude de confiance envers eux-même et la population ». Puis cette critique à peine voilée envers le commandement général de la coalition:  » il faut également prendre garde à ne pas fonder le raisonnement sur l’emploi des moyens techniques, sous prétexte qu’ils garantissent une certaine suprématie. (…) Il n’est pas envisageable que la Kapisa bascule à court terme dans le camp de la coalition. Les liens avec l’insurrection sont étroits et nombreux. le choix que l’on cherche à imposer à la population répond à une logique simpliste qui voudrait que la coalition représente naturellement le progrès et la paix, par opposition aux talibans qui représenteraient l’obscurantisme et la guerre ».

La conclusion est des plus claires: « il faut arrêter de penser que le GTIA et l’armée afghane, pourront prendre le contrôle de la Kapisa. Sur le court terme, il n’y a pas de victoire militaire à espérer ».

Ce rapport a été rédigé et transmis en 2009 à Hervé Morin, alors que la France avait perdu près de 50 soldats! Aujourd’hui, rien n’a changé! si ce n’est le le bilan qui  a atteint les 83 morts et des centaines de blessés dans les rangs de l’armée française. Mais jamais la tactique de contre-insurrection globale de la coalition n’a su trouver un équilibre. Continuant à frapper et être frappé durement, tout en tentant sans grande réussite de gagner la confiance des populations. Les Talibans l’ont démontré encore récemment: Lançant leur grande offensive de printemps, trouvant des appuis partout ou ils veulent, capables de s’attaquer aux cibles qu’ils ont désignés, jusqu’en plein centre de Kaboul. Et le gouvernement afghan, son armée, sont corrompus, infiltrés, et jouent souvent double jeu. La France en a payé le prix lourd, lorsqu’un des hommes qu’elle était chargée d’instruire, a fauché d’une rafale d’armes automatiques plusieurs soldats français. C’est à la lumière de ces constats sans doute que François Hollande, a pris sa décision, pour sortir au plus vite et dans les meilleures conditions, l’armée française d’un bourbier permanent, et d’un engagement dans un pays ou aucune armée occidentale n’a jamais réussi à vaincre.

FH

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  1. tebruc dit :

    Indochine, Vietnam, Algérie, Afghanistan (avec les Russes), Afghanistan aujourd’hui. Les guérillas associés au peuple sont toujours vainqueurs sur la durée sur des armées étrangères, sans lien avec la culture du pays.
    Certains militaires l’ont compris, mais les gouvernants, aveuglés par les vendeurs d’armes sophistiquées, non.
    En Afghanistan les américains dépensent l’équivalent du PIB afghan.
    Il reste à limiter la casse.


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À propos de l'auteur

Grand-reporter de guerre, (souvent), journaliste d'investigation, multi-médias, tous terrains, membre de l'association de la presse judiciaire, passionné par les phénomènes terroristes depuis le début de ma carrière à Europe11. Tropisme assumé pour le Moyen-Orient et la péninsule arabe-musulmane. Jamais rassasié d'infos,  accro à tous types d'enquêtes et reportages, j'aime explorer le dessous des cartes de dossiers sensibles. En toute liberté. Vos témoignages, vos infos, vos commentaires sont  bienvenus!

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