Frédéric HELBERT, journaliste d'investigation

Notre rôle n’est pas d’être pour ou contre, il est de porter la plume dans la plaie. (Albert Londres)


La tragédie des 3 otages israéliens tués par ceux qui devaient les sauver. Enquête.

Publié le 17/12/2023 à 23h25 | , , , , , , , , , , , , ,  | Écrire un commentaire

Ils s’étaient libérés des chaines du Hamas. Ils marchaient vers la liberté. Ceux qui devaient être leurs sauveurs les ont tués. Décryptage d’une Une impensable bavure.

Ils étaent trois, trois jeunes otages israéliens, trois rescapés de « tous les enfers » : La capture d’abord par les hommes du Hamas le 7 octobre. Leur transfert à Gaza, leur détention, des mauvais traitements sans doute, peut-être des violences, la faim, la soif, et puis cette peur au ventre, dont ont témoigné certaines des femmes relâchées après négociations : Celle d’être tué par les terroristes du Hamas, celle encore plus forte des bombardements terribles, incessants et indiscriminés, , de leur propre armée. Et ces rescapés, Samer Fuad El-Talalka, Yotam Haim, Alon Shamriz qui avaient survécu à tout, et qui avaient été abandonnés vivants par leurs ravisseurs, ou leurs avaient échappé d’une manière ou d’une autre, étaient en marche vers la liberté. Encore fallait-il marcher dans la bonne direction, éviter de retomber sur le Hamas, éviter d’être victime d’un bombardement de Tsahal. Les trois hommes se trouvaient dans une zone dévastée, un décor lunaire, un quartier plusieurs fois pilonné par Israël avant que les troupes de choc n’y prennent pied.

 Un ou deux jours avant la tragédie, les ex-otages avaient réussi à griffonner à la va-vite sur le mur d’un immeuble détruit. « SOS, trois otages israéliens. Au secours ».  Coup de chance : Des soldats avaient vu ce message. Mais premier mauvais coup du sort : Les militaires avaient fait une analyse erronée, imaginant qu’il s’agissait d’un piège du Hamas. Et ils n’avaient reçu des services de renseignement aucune indication de la présence de ces trois otages là dans cette zone.

Le jour de la tragédie, Les trois hommes se déplaçaient prudemment : Ils s’étaient débarrassés de leurs chemises, étaient torses nus, (pour montrer qu’ils ne portaient ni armes, ni explosifs) et brandissaient au bout d’un bâton, un drapeau blanc de fortune. Il était ainsi parfaitement visible qu’ils ne présentaient aucun danger.

Et pourtant, selon les premiers éléments de l’enquête, un soldat, bien que posté à distance et en hauteur, « s’est senti menacé ». Ce sont les mots du soldat figurant dans le rapport préliminaire d’enquête. Et voilà. Sentiment de menace erroné, ouverture du feu instantanée. Pour deux des otages, c’est la mort sur le coup. Un vétéran d’une unité spéciale de Tsahal, ayant opéré à Gaza, juge pourtant l’explication du soldat-tireur peu plausible, et estime que l’ouverture du feu a répondu à un principe répandu du tir instinctif, autorisé, voire recommandé par la hiérarchie. Alors l’enchainement fatal s’est poursuivi. Le troisième otage, seulement blessé par les premiers tirs, parvient à se cacher dans un immeuble en ruines. En même temps, le soldat qui avait tiré et tué ses compatriotes appelle des renforts, affirmant avoir « engagé » des forces ennemies.  Les renforts, une dizaine d’hommes, et leur commandant, arrivent et en pénétrant dans l’immeuble, ils entendent des appels au secours en hébreu. 

Le commandant de l’unité ordonne alors clairement à ces hommes de ne pas user de leurs armes. Un ordre sans effet. Le face-à-face avec le troisième otage, qui ne représente aucune menace tourne au drame. Un soldat, au moins, ouvre le feu. Et tue le dernier otage. Qui aura peut-être vu ceux qui devaient être ses sauveurs, se transformer en bourreaux.

Un vétéran d’une unité spécialisée, dans les opérations de sauvetages d’otages ou de blessés en zone de conflits ne mâche pas ses mots : 

« Cette méprise mortelle démontre tragiquement, que l’armée israélienne, n’avait même pas imaginé un tel scénario – se retrouver face à des otages ayant réussi d’une manière ou d’une autre à s’échapper- ni établi une procédure adéquate pour faire face à cette situation, c’est consternant et indigne d’une armée comme la nôtre ». Cela démontre aussi que même les troupes les plus aguerries ont souvent du mal à opérer au sol, dans un territoire hostile qu’ils ne maitrisent pas. Et qu’ils sont « sur les dents », prêts à ouvrir le feu, dès la moindre perception d’une menace, réelle ou supposée. Et ce, alors que la règle n°1, supposée intangible est de ne jamais ouvrir le feu sur des personnes visiblement sans arme et portant un drapeau blanc. Ce qui s’est passé en deux temps à Gaza, va à l’encontre de toutes les règles de la procédure régissant l’engagement du feu.  Et cela rappelle la terrible méprise, à Jérusalem, d’un militaire ayant, là encore enfreignant la règle, ouvert mortellement le feu sur le citoyen israélien qui avait abattu deux terroristes venant de commettre un attentat »

 Après la mort des trois otages tués par une armée qui aurait dû les sauver, le 1er ministre israélien était attendu au tournant… Vendredi, rien si ce n’est un communiqué laconique. Hier samedi, Netanyahu a consenti à s’exprimer lors d’une conférence de presse, avec Benny Gantz, et le ministre de la Défense. Conférence surréaliste, en hébreu, ou Netanyahu s’est dit « le cœur brisé », pour aussitôt réaffirmer son soutien à tous les soldats lancés dans cette guerre. Et la nécessité de les protéger. Et que rien ne viendrait empêcher la poursuite d’une offensive totale à Gaza. Aucun journaliste présent n’a jugé bon de le reprendre, de poser question sur la bavure mortelle. Aucun ne s’est attardé sur le sujet des trois otages tués par l’armée. Démontrant ainsi ce que Gideon Levy, éditorialiste célèbre du journal « Haaretz » dénonçait il y a quelques jours, à savoir l’aveuglement collectif d’une grande majorité des médias israéliens, que ce soit face aux erreurs de l’armée, aux tueries incessantes de populations palestiniennes innocentes, à l’absence de stratégie globale, ou aux événements sanglants des raids meurtriers menées tant par les colons que les militaires en Cisjordanie.

Seul le chef d’état-major a assumé la pleine responsabilité de l’armée, et admis une faute flagrante de ses soldats. Pour les familles d’otages manifestant leur tristesse, leur désarroi, leur colère, la réaction de Netanyahu a été vécu « comme une gifle, une insulte aux proches des otages tués » a confié un manifestant hier, sur la « place des otages ». Un autre s’est alarmé à la tribune : « On ne nous ramène désormais que des cadavres ! Sans plus d’informations. Combien ont été tués par les bombardements ? Combien l’ont été par nos militaires ? Combien ont péri, tués par leurs geôliers, lors d’opérations de libérations ratées. C’est l’opacité totale ».

« Le problème est bien là dit un militaire d’élite français. Benjamin Netanyahu le sait parfaitement. Et son état-major aussi. Il est impossible de mener une guerre sans merci, et de penser que dans des conditions pareilles, une libération des otages par la force est possible ».

En affirmant pouvoir poursuivre ce double objectif, gagner la guerre et ramener les otages, Netanyahu s’enferme dans un « narratif » absurde et irréalisable. Pourtant, avec les trois jeunes otages qui s’étaient échappés, c’eut été possible pour une fois. Mais ceux qui devaient sauver ont tué.  

« Netanyahu, tel qu’il est apparu à la télévision n’en avait rien à faire de tragique histoire des trois des otages, estime un observateur avisé des jeux de pouvoirs en Israël. ll n’a endossé aucune responsabilité, comme à l’habitude, et s’est empressé de réaffirmer un soutien inconditionnel aux militaires. Et a assuré qu’Israël irait jusqu’au bout, avec ou sans le soutien de la communauté internationale, et qu’à la fin des fins, l’armée israélienne y occuperait Gaza pour assurer la sécurité. Contredisant encore une fois les propos et intentions affichés par son 1er allié : Les Etats-Unis. Et toutes les voix internationales qui réclament à minima, une trêve humanitaire, et un discernement dans les frappes d’une violence sans précédent, qui tuent tant de civils palestiniens. Mais sont aussi responsables de la mort d’israéliens. La tragédie des trois otages tués par Tsahal, révèle aussi une sinistre réalité : 

Bien loin des affirmations tenues il y a un mois, ou le gouvernement affirmait que le Hamas avait perdu tout contrôle du Nord de la bande de Gaza, le mouvement terroriste est encore debout, ses chefs principaux sont toujours vivants. Et ses combattants aussi actifs que redoutés, au point de faire « disjoncter » des soldats de Tsahal, qui en sont venus à tuer leurs propres compatriotes. Ainsi se poursuit une guerre dont les buts de guerre semblent inatteignables, et dont le « jour d’après » est dépourvu de toute perspective politique, qui permettrait tant aux israéliens qu’aux palestiniens de vivre en sécurité et en paix.   

Frédéric Helbert


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À propos de l'auteur

Grand-reporter de guerre, (souvent), journaliste d'investigation, multi-médias, tous terrains, membre de l'association de la presse judiciaire, passionné par les phénomènes terroristes depuis le début de ma carrière à Europe11. Tropisme assumé pour le Moyen-Orient et la péninsule arabe-musulmane. Jamais rassasié d'infos,  accro à tous types d'enquêtes et reportages, j'aime explorer le dessous des cartes de dossiers sensibles. En toute liberté. Vos témoignages, vos infos, vos commentaires sont  bienvenus!

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