Frédéric HELBERT, journaliste d'investigation

Notre rôle n’est pas d’être pour ou contre, il est de porter la plume dans la plaie. (Albert Londres)


Le crédo du juge Trévidic: « La DGSI a tenté de retourner Merah ».

Publié le 25/01/2013 à 23h51 | , , , , , , , ,  | Écrire un commentaire

EXCLUSIF

Dernier volet de l’ITW du juge anti-terroriste Marc Trévidic. Pour la première fois un homme qui vit la lutte contre-terrorisme au quotidien et u coeur du système, aborde, sans détour, publiquement un dossier dont il n’est pas saisi, mais dont il connaît parfaitement les articulations et la phase initiale: la sanglante affaire Mohamed Merah. Le magistrat révèle aujourd’hui sa conviction: Mohamed Merah a été « ciblé » pour être recruté par le renseignement français, mais a dupé ceux qui croyaient pouvoir le manipuler, jusqu’à l’heure du Jihad total et sanguinaire.

flanqué de ses gardes du corps et d’un expert du dossier « Rwanda »: Un juge sur tous les fronts! Photo: Pascal Rostain @Sphinx

Meilleur connaisseur des filières islamistes, ayant déjà eu affaire au « islamistes de Toulouse », en 2006/2007, ayant alors démantelé la filière Toulouse/Artigat que fréquentait le frère Abdelkader Merah, et dont le leader spirituel était Olivier Corel, surnommé « l’émir blanc » que Mohamed Merah viendra voir quelques temps avant de passer à l’action, le juge anti-terroriste Marc Trévidic, aurait évidemment du faire partie de la saisine de juges sur l’enquête Merah. « Bête noire » de Nicolas Sarkozy à l’époque, il ne l’a pas été. L’affaire ayant débuté en pleine campagne électorale. Elle a mis en exergue le rôle joué par l’exécutif, dans un « final » sanglant et théâtralisé, qui aurait pu, « aurait du » dit un ancien du GIGN être évité.

Mais personne n’empêchera Marc Trévidic qui travaille tous les jours sur l’embrigadement des jeunes, le rôle du net, les filières afghanes, maliennes ou autres, le Wazhiristan, les islamistes français prêts à passer à l’action, personne ne l’empêchera d’avoir les idées claires sur cette affaire. Pour la première fois, il accepte de livrer sa conviction, posément, sans esprit de polémique.

Pour lui, Merah a été la cible d’une légitime tentative de retournement qui a échoué et viré au tragique.

Entretien inédit avec Marc Trévidic.

Frédéric Helbert – Regrettez-vous de ne pas avoir été saisi dans l’affaire Merah?

Marc TREVIDC – Bien sûr! Ce serait vous mentir et renier ma passion que de dire le contraire. Mais chacun le sait: Nous vivions encore « l’ère Sarkozy ». A partir de là les carottes étaient cuites. C’est dommage pour moi. je connaissais bien l’environnement. Maintenant, j’ai des collègues qui font très bien le boulot… Un point important aujourd’hui: il faut dépassionner,  comprendre calmement ce qui s’est passé, là où on s’est planté, et ce qu’on peut améliorer mais ne pas jeter l’opprobre rapidement  sur tous les techniciens alors que le terrorisme islamique est devenu un monde, et une matière très complexes. Et cesser l’instrumentalisation de l’affaire. C’est en tous les cas mon sentiment.

FH -Merah, c’est un tournant à la fois dans le terrorisme et l’anti-terrorisme?

Marc TREVIDIC – Absolument! Merah a symbolisé la notion qui se dessinait du virage actuel vers le Jihad individuel. Cà ne veut pas dire qu’il était tout seul, ou qu’il n’y a pas eu de gens au Waziristan qui ne l’ont pas aidé, ne lui ont pas dit ce qu’il fallait faire,  et comment le faire, d’autres qui ont aidé dans sa « préparation opérationnelle » ou son conditionnement,  mais dans le monde des jihadistes, on peut passer très vite de plusieurs groupes à un groupe, d’un groupe à un groupuscule, puis à quelque chose de microscopique pour nous: Des gens qui font le Jihad dans leur coin avec les moyens du bord. On savait que c’était la menace à craindre. le message d’al Qaida, ceux renouvelés de ben Laden avant sa mort tendaient vers cela: l’appel à chaque « bon musulman » -sic- au Jihad, quelles que  soient les armes ou moyens utilisés, et les cibles choisies. On avait cette épée de Damoclès, simplement, elle était pas encore tombée. L’épée n’est pas nouvelle! C’est le fait qu’elle nous soit tombée dessus qui soit nouveau…

La tentative avortée de retournement et de recrutement d’un apprenti-jihadiste nommé Merah

FH – Et çà, on l’a pas décelé avec Merah particulièrement?

Marc TREVIDIC-  Mais si, sans aucun doute! Sauf que les services de renseignement n’ont pas « judiciarisé » les dossiers de Mohamed Merah, qui apparaissait comme « prenable », oscillant entre des tentations de vies différentes.  Je pense qu’ils ont tenté un coup particulier, risqué, mais qui à leurs yeux valait la peine, et qui aurait pu se montrer gagnant. Ils ont tenté de le recruter tout simplement. De faire une infiltration. D’en faire un agent double. Il y avait le risque bien sûr mais il y a toujours un risque dans ce genre d’opération. On marche sur le fil. C’est l’évaluation qui a foiré! Merah selon moi a vu le coup venir, compris qu’il pouvait en profiter, et en fait s’est joué des hommes de la DCRI de Toulouse, continuant à préparer son Jihad, tout en donnant l’impression qu’il collaborait!! Mais peut-on reprocher aux hommes du contre-espionnage français leur tentative? Comment-voulez-vous infiltrer des groupes islamistes sur zone, par exemple au Waziristan? En envoyant un agent? On n’est pas au Cinéma! Les chances de succès seraient voisines de zéro. Le seul moyen est de « retourner » quelqu’un déjà engagé, radicalisé et déjà dans le schéma…    Pour être le plus efficace, il faut essayer de voir parmi les gens qui reviennent de « stages », de voyages initiatiques, ceux qui seraient les plus prometteurs, les plus adroits, et ceux qui pourraient trouver leur intérêt à jouer double jeu et à donner des informations.Ca c’est le processus mais, attention, pas sans risques, parce ce que il y a des gens adroits, intelligents, manipulateurs eux-même,  des gens qui sont doués pour la dissimulation, qui ont appris…  Vous couvrez les affaires de terrorisme et de l’anti-terorisme depuis longtemps, vous savez ce qu’est la  TAQIYA, (TAKKIA), l’art  de la dissimulation et du mensonge religieusement permis pour tromper l’adversaire, l’ennemi. C’est un « art » qu’on a commencé à enseigner dans les camps d’al Qaida dans les années 90, un peu comme un art de la guerre. L’idée que tu vas te confondre dans la population, ne donner aucun signe de suspicion, être un « agent dormant », jusqu’au jour où… LaTakiya permet tout!  boire de l’alcool, sortir, avec des filles, manger du porc, tout au nom des intérêts supérieurs de la mission, (comme on l’a vu avec les kamikazes du 9/11 aux USA), mais quand on vous dit de passer à l’action, vous arrêtez tout, vous redevenez un jihadiste, un moudjahidin, et vous passez l’action.

FH -Donc Mohamed Merah, hormis sa violence inouïe, sa manière de frapper, son attitude parfaitement « normale », alors qu’il revenait de commettre des crimes abominables a réussi à tromper tout le monde y compris les meilleurs spécialistes?

Marc TREVIDIC: Qu’est ce qu’il a fait Merah? Il n’a rien inventé. Il a fait la Takkia mieux que personne et quand l’heure de sa guerre sainte est arrivée, il est devenu  ce que l’on sait. Menant son combat jusqu’au bout. Donc « on » peut, on doit  reconnaître notre erreur, mais il faut savoir aussi expliquer, le risque qu’on a pris, pourquoi, les bénéfices énormes qu’on aurait pu en tirer si cela avait marché. C’est compliqué! Y’a des gens qui présentaient et présentent encore un profil beaucoup plus inquiétant que Merah parce qu’ils sont violents, qu’ils menacent de s’en prendre à tout le monde, d’égorger les gens, et en fait ce  ne sont pas les plus dangereux. ils parlent, parlent mais ne feront rien. L’habit ne fait pas le jihadiste nécessairement. C’est ce que j’essaie d’expliquer dans mon bouquin. Parce qu’après une telle tentative, des attentats, des morts, une telle mise en scène terrible, et le final, bien sûr c’est un échec, je ne suis pas dans le dossier, mais je pense que si l’infiltration doit rester une possibilité opérationnelle pour les SR français, il faut quand même après un tel événement, arrêter de se tirer dans les pattes, il faut expliquer les paramètres,  tirer les leçons, resserrer les boulons, remettre de l’ordre dans la boutique. Il en va de la sécurité de nos compatriotes.  

Propos recueillis par Frédéric Helbert.


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À propos de l'auteur

Grand-reporter de guerre, (souvent), journaliste d'investigation, multi-médias, tous terrains, membre de l'association de la presse judiciaire, passionné par les phénomènes terroristes depuis le début de ma carrière à Europe11. Tropisme assumé pour le Moyen-Orient et la péninsule arabe-musulmane. Jamais rassasié d'infos,  accro à tous types d'enquêtes et reportages, j'aime explorer le dessous des cartes de dossiers sensibles. En toute liberté. Vos témoignages, vos infos, vos commentaires sont  bienvenus!

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