Frédéric HELBERT, journaliste d'investigation

Notre rôle n’est pas d’être pour ou contre, il est de porter la plume dans la plaie. (Albert Londres)


Liban: Les secrets de l’ attentat contre le général Wissam el Hassan. Enquête, Révélations

Publié le 22/10/2012 à 00h05 | , , , , , , ,  | 2 commentaires

Autopsie d’un Attentat. Les secrets de celui qui en était la cible n°1.

Les lieux du carnage, cinq minutes après l’explosion. Photo: FH

 Enquête

photo droits réservés frederichelbert.com

Photo Wissam el-Hassan. Affiche hommage. FH

Le général Wissam el-Hassan était considéré par beaucoup comme un « rempart de choc » contre les tentatives de déstabilisation du régime de Damas, et celles d’exporter le conflit syrien au Liban, caisse de résonance haute catégorie. Sunnite de confession, l’homme qui tenait les services de renseignement des FSI (forces de Sécurité Intérieure) a été tué en plein quartier chrétien, à deux pas de l’endroit où Bashir Gemayel avait été victime de la vindicte syrienne il y a 30 ans) dans un attentat terrible ayant provoqué la destruction de l’immeuble ou il se trouvait, trois semaines après avoir été élu Président de la République du Liban. « En le visant, avec les moyens employés, le coup est signé » dit un des proches de la victime qui pointe son doigt vers la Syrie. 

La victime était sur une liste noire

Homme-clé du renseignement libanais, Wissam el-Hassan était une cible, sinon la cible de premier choix, pour la Syrie et le régime de Bachar el Assad, auquel il avait porté des coups sévères. Le militaire se savait menacé. Il avait pris soin de mettre à l’abri sa famille, à Paris. L’homme entretenait d’excellentes et productives relations avec divers services français selon une source sécuritaire requérant un anonymat précieux par les temps qui courent. Selon les informations délivrées par cette source, le chef du renseignement des FSI a été tué alors qu’il revenait tout juste d’un « voyage » en Europe. Il était notamment passé par Berlin et Paris et un pays de la « région ».  

Il a été « tracé » dès son atterrissage à l’aéroport international  de Beyrouth. L’opération pour l’éliminer a commencé là. La veille de son assassinat, de l’aéroport, il gagne directement le siège ultra-sécurisé des FSI. Il y passe la nuit. Il quitte ses bureaux et les bâtiments  pour se rendre directement chez lui en passant par le quartier chrétien d’Achrafiyeh, et la  la Place Sassine. A ce moment, la voiture piégée, bourrée d’un explosif militaire surpuissant (C4) est déjà installée au milieu de la rue, qui est une petite rue. Tout le dispositif destiné à l’éliminer est déjà en place. La voiture piégée a été équipée d’un système de déclenchement à distance. Selon les enquêteurs, au moins deux hommes sont sur place. L’un possédant le déclencheur, un autre ayant une vision parfaite du périmètre. Car il faudra agir à la seconde près. La rue étant petite et courte, s’il n’y pas d’embouteillages, une voiture peut y passer très vite. Le placement de la voiture piégée a été calculé par des experts. Ainsi que les effets qu’aura l’explosion pour que le général des FSI n’ait absolument aucune chance d’en réchapper.  Peu importe le niveau des dommages collatéraux (comme ce fut le cas pour Rafic Hariri et les autres opposants au régime syrien, victimes en 2005 d’une campagne d’attentats sanglante à la voiture piégée. La méthode préférée des syriens et de leurs affidés.

 Selon plusieurs sources, Wissam el-Hassan, homme de grande discrétion, n’avait prévenu personne de son retour à Beyrouth. Ses assassins savaient qu’il n’était pas dans son convoi traditionnel de protection mais une petite voiture, accompagné d’un seul garde du corps. Lorsque la voiture s’engage dans la rue étroite sur son parcours, à l’instant T, le véhicule piégé, (des dizaines de kilos de C4, explosif d’une puissance redoutable) explose. semant la mort et la dévastation jusqu’à des centaines de mètres du point initial de déflagration. Elle pulvérise la voiture du général el-Hassan. Et se transforme en une sorte de bombe incendiaire à sous-munitions.Des projectiles enflammés partent en toutes direction. L’effet de souffle est terrifiant. Plusieurs autres voitures touchées s’embrasent. Un camion-citerne explose à son tour. Tous les immeubles sont ravagés. Des balcons entiers sont soufflés et s’effondrent. Toutes les rues adjacentes sont également victimes de l’effet de souffle digne d’une tornade. Des appartements entiers sont balayés comme des maisons de poupées. Des centaines de vitres et de vitrines se brisent. Bien loin du point d’impact initial. Au regard de l’extraordinaire puissance de l’explosion, le bilan (8 morts, près d’une centaine de blessés) apparaît presque miraculeux.

photo frederic Helbert.com

L’attentat. Photo F.Helbert

Du général, il ne reste selon une source médicale, que « des morceaux chair calcinée ». Sa voiture n’existe plus.  Sa première identification formelle viendra  pourtant du terrain. Les hommes de la police technique et scientifiques vont retrouver son arme personnelle… projetée par l’explosion au deuxième étage d’un immeuble voisin. 

Le général Wissam el-Hassan: la bête noire dur régime Syrien

« C’était coup double  » dit un enquêteur. De confession sunnite,( mais plaçant l’intérêt de l’état au dessus des rivalités confessionnelles), la « cible » de l’attentat a été visée au coeur d’Achrafiyeh, le quartier chrétien de Beyrouth. Par delà l’élimination d’un opposant irréductible aux visées de Damas, le but devait aussi être de ranimer la flamme d’une guerre inter-confessionnelle dans un pays où les communautés et les clans politiques sont sans cesse divisés. Depuis l’été dernier, la crainte d’une tentative du clan de Bachar el Hassad « d’exporter » le conflit syrien en terre libanaise était une une rumeur insistante. C’est devenu une réalité. 

Dès l’été dernier, à Tripoli, une ville du Nord, dont les syriens avaient fait un point d’ancrage lorsqu’ils occupaient le Liban, avait été le théâtre de violents combats à l’arme lourde, entre la petite communauté alaouite soutenue par Damas, et les sunnites occupant les bas-quartiers de la ville côtière. (cf. reportage blog à l’époque)

L’affaire Samaha

photo Samaha beyrouth frederichelbert.com

Adresse M.Samaha à Beyrouth/FH

En septembre autre moment crucial: les FSI sous la férule de Wissan el Hassan arrêtaient chez lui, dans son appartement cossu d’Achrafiyeh, Michel Samaha. Cet ancien ministre chrétien, libanais, mais conseiller spécial de Bachar el-Assad (!), et -ex-missi dominici entre le Président syrien et l’ex chef de l’état français Nicolas Sarkozy qui a pensé un temps pouvoir « assouplir » le clan Bachar- s’était vu confié par son mentor une mission très spéciale: Importer la terreur au Liban, en y faisant exploser des voitures piégées, méthode déjà souvent utilisée par Damas sur son « terrain de jeux de guerre » libanais. Une entreprise ruinée par le général Wissam el-Hassan et ses hommes. Michel Samaha, politique, mais pas un grand technicien de l’opérationnel,  s’était appuyé sur un homme peu fiable qui allait jouer double-jeu et « vendre la mèche » aux FSI. Conversations enregistrées, vidéos, photos de planque, preuves matérielles, argent, matériel destiné à la fabrication des bombes, détonateurs, 24 charges explosives, toutes les preuves du complot commandité par le régime syrien étaient réunies contre « l’agent de Damas ». Des informations non confirmées ont fait état d’une collaboration très efficace sur le dossier Samaha entre les FSI et les services français.   » on avait plus de doute dit un autre général libanais, sur la volonté de Bachar el-Assad d’exporter le conflit dans un pays fragile, dominé par un allié stratégique de la Syrie, le Hezbollah ». Soupçonné de pourvoir en combattants expérimentés Damas dans sa lutte contre une rébellion. Une rébellion d’abord  de long mois, pacifique, puis ayant fini, après avoir subi une répression meurtrière par s’armer, et se lancer dans une guerre civile terrible, sans merci, où tous les coups sont désormais permis. C’est dans le cadre de cette enquête que le chef des services de renseignements des FSI a découvert que son propre nom figurait sur une liste de « top-cibles » constituée par Michel Samaha. Ironie macabre du sort: la façade de l’immeuble ou habitait Michel Samaha, non loin des lieux de l’attentat, a aussi été soufflée.

L’armement de la rebellion

Selon une autre source particulièrement bien informée, existait une autre raison des plus solides pour que le chef du service des renseignements des FSI soit dans le collimateur des syriens et de leurs alliés. Le général Wissam el-Hassan était un de ceux qui avaient lancé  un « programme » clandestin visant réunir des fonds et des armes pour aider dans leur lutte l’ASL, Armée Syrienne de Libération (ou FSA-Free Syrian Army). Les armes venaient du marché noir intérieur libanais, jamais à court de stock. De solides rumeurs ont aussi fait état d’une « gestion » de cargaison d’armes arrivant par bateaux entiers de  la Libye.

photo frederichelbert.com

frontière poreuse Liban/Syrie. FH

Ces armes distribuées à l’époque du conflit libyen et qui n’ont jamais pu être récupérées. Les armes, quelle que soit leur origine, étaient acheminées dans la plus grande discrétion jusqu’à certains points de la frontière libanno-syrienne. Puis distribuées clandestinement aux rebelles syriens. Dans cette entreprise, Wissan el-Hassan était le « supervisor ».  C’était une opération complexe, sur laquelle le général avait la haute main dit un ses proches. Pour la monter, et l’organiser, Il  disposait de l’appui politique et financier de Saad Hariri, appartenant au mouvement politique dit  du  « 14 mars », le bloc de l’opposition au mouvement du Hezbollah, celui là-même qui a accusé sans détour ni aucune précaution oratoire, le mouvement chiite d’être le responsable direct de la mort du chef de la division « renseignement » des FSI, Forces de Sécurité de l’Intérieure.

L’affaire Rafic Hariri

photo frederichelbert.com

mausolée Rafic Hariri à Beyrouth

« Les griefs de Damas contre lui, Wissam  les avaient accumulé depuis longtemps » confesse un de ses amis.  Il était loin de ces politiques, où d’autres militaires où officiers de sécurité de haut-rang, prêts parfois à toutes les compromissions pour faire avancer leur carrières » Si l’on remonte dans le temps, il faut évoquer parmi ceux-là l’enquête sur l’assassinat du père de SaadRafic Hariri, homme d’affaire surpuissant, ancien Premier Ministre du Liban. Avant son ascension au sein de l’appareil sécuritaire, le général Wissan el-Hassan fut un des proches collaborateurs de Rafic Hariri.  Certains ici, à Beyrouth, évoquent même des liens d’amitié entre les deux hommes. Lorsque Rafic Hariri a été assassiné en 2005, (victime aussi d’une énorme explosion d’un véhicule piège au passage de son convoi, dont des image sonts troublantes de similitude avec l’attentat de vendredi dernier. Mêmes images, mêmes causes, mêmes effets,  méthode employée, niveau de la charge explosive, et dégâts « collatéraux » incroyables causés). Or Wissam el Hassan s’est impliqué personnellement et avec volonté de fer, dans la très complexe, sensible, délicate enquête, une enquête semée d’embuches et d’obstacles politiques, pour identifier les assassins et les commanditaires. Et il a contribué activement à mettre à jour et désigner publiquement les responsables présumées du Hezbollah sur le terrain et les hommes  de la commandite syrienne. A partir de là, il s’est mis à dos à la fois le régime syrien, ses soutiens libanais, et son allié, le Hezbollah,  qui a toujours affirmé n’être pour rien dans l’assassinat d’Hariri…

Les dossiers secrets du général el-Hassan

Enfin, selon des informations recoupées auprès de plusieurs sources libanaises de haut-niveau, Wissan el Hassan avait aussi mis sur pied, au sein des FSI,  un vaste système baptisé « Information branch », après la mort de Rafic Hariri, système qui continuait à fonctionner à plein ces temps derniers, et qui consistait en un vaste réseau d’écoutes sophistiqué. Des écoutes qui lui avait permis de prendre dans « ses filets » un certain nombre de responsables du Hezbollah, ou de soutiens pro-syriens ou de personnes jugées menaçantes pour la sécurité nationale, directement reliés à Damas et de constituer un fichier spécial et des dossiers. Le système  était, selon l’un de ceux qui en a été une proie, très efficace, quand « les cibles » oubliaient de prendre leurs précautions et utilisaient  des téléphones cellulaires non protégés, non cryptés. Résultat, les fiches, les informations sensibles s’accumulaient sur le bureau du chef du Renseignement du FSI. Qui se refusait à tenir compte de menaces reçues, et des plaintes de certains, notamment de figures du Hezbollah, contre un système dénoncé comme illégal et  dont les ennemis du « super-flic » avaient fini par apprendre l’existence. Selon l’un de ses proches, la seule existence de ce fichier lui avait valu d’explicites menaces de mort. Mais Wissam el-Hassan poursuivait son chemin et sa mission.

L’enquête, les risques… Le Hezbollah bras armé de la Syrie dans l’attentat?

Déjà la guerre des mots est lancée, et le sentiment anti Hezbollah enfle chaque jour. dans les rangs de l’opposition « ce sont eux« , « Il n’y a qu’eux pour faire cela », « Au moins, ils étaient au courant  et ont laissé faire » entend-on un peu  partout. « Reste qu’en l’état, explique une source liée à l’enquête sur l’attentat à la voiture piégée, aucune preuve établie ne permet de désigner le Hezbollah comme ayant été le bras armé de la mise à mort du général, et l’organisateur d’un attentat qui met publiquement l’organisation en difficulté « . Par delà le fait qu’il n’y a pas de preuves, le positionnement  délicat et ambigu du mouvement de Nasrallah qui a la main sur le gouvernement mais danse sur un volcan, laisserait plutôt à penser que le régime syrien a agi de son propre chef. Après 30 années d’occupation du Liban, la Syrie a constitué  un réseau d’hommes de main, de barbouzes, de moukabarat encore installés au Liban, et suffisamment puissants pour avoir tout manigancé  de A à Z. A l’heure ou l’on en est qu’au rayon des hypothèses, il faut tenir compte du fait que Le Hezbollah sait la situation suffisamment instable et inflammable comme cela et ne veut pas, absolument pas d’un embrasement généralisé inter-confessionelle. Ou tout deviendrait incontrôlable. Le mouvement qui fait du business, a investi son trésor de guerre dans certains secteurs d’activité légaux au Liban, est loin d’ignorer qu’une guerre civile mettrait ses intérêts en péril et rendrait sa position de parti de gouvernement intenable.

A Dahieh, dans le quartier de sécurité du Hezbollah, ordre d’éviter toute provocation et le même mot partout:  » le Mossad et la CIA ont fait le coup »

D’ailleurs indique un des chefs locaux du mouvement, « toutes les unités ou  tous les membres d’unités militaires du Hezbollah, parmi lesquels figurent de nombreux civils, « réservistes », qui ont des jobs un peu partout, et ne revêtent leurs panoplies de combattants que sur consigne-express, ont reçu un ordre très ferme à Beyrouth: Laisser les armes aux vestiaires et, ne sortir  en aucun cas de la banlieue-sud de Dahieh, pour aller au contact avec les sunnites qui sont sur des charbons ardents« … Pas de conflit, de clash, de confrontation ou de provocation! C’est le mot d’ordre. Et le Hezbollah a plutôt la réputation d’être un modèle de discipline. A Dahieh (reportage à venir) dans la banlieue Sud,  il n’est pas une voix de la communauté chiite qui ne désigne ceux qui sont selon elle ses coupables: Le Mossad et les USA. associés à tous les éléments pro-syriens au Liban, dépendant directement de Damas. Et disposant d’une capacité intacte de nuisance… Dans les rangs de l’opposition, c’est une autre religion qui est déjà faite: le Hezbollah est pointé comme le maître d’oeuvre de l’opération. L’armée libanaise a été déployée un peu partout, mais sitôt Wissam el-Hassan mis en terre, on a vu des manifestations, de quelques dizaines parfois quelques centaines de personnes réclamant la démission du Premier Ministre Hezbollah, Mikati.

Le risque de l’embrasement

Un proche du gouvernement dit d’union nationale,  qui ne semble pas à priori tenir de double langage estime que le danger est là. Si le régime de Bachar el-Assad dont la stratégie visant à exporter le conflit et à impliquer le Liban est claire, si les sunnites, ou la petite communauté des alaouites de Tripoli, ou les salafistes, dont le nombre va croissant au Liban, et qui ont déjà fait le coup de feu à Tripoli, sont décidés à tout faire, à jouer à fond la carte d’un embrasement total, alors que beaucoup ont déjà le doigt sur la gâchette, alors le pays du cèdre risque de basculer à nouveau dans le cycle infernal et destructeur d’une guerre intérieure, qui replongerait le Liban dans chaos sans limites, comme il l’a connu durant des décennies. « Le spectre guette prévient un diplomate européen. L’ère de l’imprévisible est de retour et la stratégie du pire menace après l’assassinat du général Wissan el Hassan. dont la mort  doublé d’un carnage pourrait avoir ouvrir les portes d’un nouvel enfer »

F.H


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À propos de l'auteur

Grand-reporter de guerre, (souvent), journaliste d'investigation, multi-médias, tous terrains, membre de l'association de la presse judiciaire, passionné par les phénomènes terroristes depuis le début de ma carrière à Europe11. Tropisme assumé pour le Moyen-Orient et la péninsule arabe-musulmane. Jamais rassasié d'infos,  accro à tous types d'enquêtes et reportages, j'aime explorer le dessous des cartes de dossiers sensibles. En toute liberté. Vos témoignages, vos infos, vos commentaires sont  bienvenus!

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