Frédéric HELBERT, journaliste d'investigation

Notre rôle n’est pas d’être pour ou contre, il est de porter la plume dans la plaie. (Albert Londres)


Syrie: Guerre chimique:Version intégrale enquête exclu Paris-match mars 2013.

Publié le 21/08/2013 à 18h16 | , , , , , , , , , ,  | 1 commentaire

SYRIE-  ARMES CHIMIQUES. EN MARS, LES PREMIÈRES PREUVES.

victimes chimiques

Début février. Omar, dans le dispensaire 24/24 de Tripoli, au Liban, où il se rend chaque semaine pour faire changer ses pansements. © Frédéric Herbert

Publié le 06 mars 2013 | Mise à jour le 03 juin 2013 (www.parismatch.com)
ENQUÊTE ET PHOTOS FRÉDÉRIC HELBERT.

En mars dernier, notre envoyé spécial dévoilait les premiers indices attestant de l’utilisation d’armes chimiques en Syrie. Voici la version intégrale de son reportage au bout de l’horreur.

Comme un vieillard, il grimpe péniblement une ruelle montante. Silhouette voûtée, regard baissé, Omar a le souffle court, les jambes raides. Chaque pas est une souffrance. Pourtant ce Syrien n’a que 13 ans. Il y a deux mois, en Syrie, à Homs, une bombe a pulvérisé son enfance, sa vie. «Une bombe pas comme les autres, murmure-t-il dans un souffle. Il y a eu une fumée jaune. On m’a dit que j’avais perdu connaissance. Mais je n’ai pas vu mes parents. Ils ont disparu depuis. Vous savez où ils sont?» Lourd silence. Omar reste plongé dans les ténèbres de son cauchemar. Pour le préserver du pire, la vérité lui a été cachée: sa famille entière a péri coincée dans une maison de la vieille ville. Morts par suffocation, diront les témoins et médecins. Morts sans avoir été touchés directement.

Omar, alors dans une autre pièce, ne l’a pas été non plus. Mais, deux jours plus tard sont apparues brûlures, plaies, cloques. Puis sont venus les troubles de l’équilibre, pertes de mémoire, douleurs musculaires. Le mal empirait chaque jour. A Homs, les médecins ont immédiatement songé aux scories d’un bombardement chimique et organisé un transfert clandestin vers le Liban voisin. Là, espèrent-ils, l’enfant pourrait bénéficier d’un diagnostic et de traitements appropriés. Un «rêve» ruiné par la tragique impuissance de ceux qui ont accueilli la victime au pays du Cèdre.

«Bienvenue au royaume des souffrances mystérieuses.» Maniant l’ironie comme une arme de défense, le Dr Ghazi Aswad, chirurgien français d’origine syrienne, 54 ans, fait s’allonger Omar sur un lit de fortune pour l’ausculter. Au dispensaire «24/24», l’ancien chef de service adjoint de chirurgie orthopédique, au savoir éprouvé dans cinq CHU du sud de la France, soigne chaque jour entre 40 et 60 victimes de la guerre, des réfugiés. L’environnement? Plus que spartiate: 10 mètres carrés dans ce centre de soins installé sur deux étages d’un immeuble acquis grâce à des dons privés. Matériel réduit au minimum, parfois bricolé à la va-vite et non stérile, laboratoire insignifiant, pas d’ascenseurs, aucun bloc opératoire et absence drastique de médicaments. «Cette pièce minuscule, ironise le Dr Aswad, est un bureau, une salle d’attente, de consultation, d’opération.» Les blessés l’ont baptisée la «Salle des miracles», tant le praticien réussit à soigner avec rien ou si peu. Il retire balles et éclats d’obus, ferme des plaies, panse des brûlures, fait des greffes de peau, le tout sous anesthésie locale, faute de mieux. Parfois, il réduit des fractures d’un coup sec, «à l’expérience». «Mes patients sont, dit-il, d’un courage fantastique.» assure le toubib. Lui aussi.

Le médecin franco-syrien Ghazi Aswad auprès d'un autre victime touchée par une arme chimique à Hama @Frederic Helbert

En matière de chirurgie de guerre, le médecin est devenu un «champion». Revenu en Syrie en 2005, quand la révolution a éclaté, il a mis sa famille à l’abri et est devenu un «rebelle en blouse blanche». De l’urgence, il a tout appris «sur le tas», d’abord sous les bombes, à l’hôpital Bur, à Homs. «J’ai tenu jusqu’au jour où j’ai vu une centaine de militaires à la solde de Bachar extuber des patients, les condamnant à une mort immédiate, puis jetant leurs cadavres comme des ordures. Moi, j’étais recroquevillé par terre, en pleurs. Alors je suis venu au Liban, où il y avait tant à faire aussi. Mais pour passer d’un enfer à un autre. Comment imaginer cette misère médicale dans un pays capable de tant de richesses?»

« REGARDEZ CET ENFANT QUE JE SUIS OBLIGÉ DE RENVOYER DANS UNE CHAMBRE MINABLE D’UN CENTRE DE RÉFUGIÉS »

L’insupportable pour cet homme, qui le vit en héros: se retrouver face aux blessés d’une guerre fantôme, face à des enfants comme Omar. «Il ne parle plus, ne mange plus. Il vit sous l’empire de la douleur et de la terreur. Emmuré dans le souvenir. Un mort-vivant! Même nous, nous lui faisons peur. Parce que les traitements sont douloureux. Je ne peux lui donner qu’un antibiotique et changer ses pansements sans cesse souillés. Il faudrait des crèmes spéciales pour la peau, une réhydratation permanente et des cocktails vitaminés à haute dose, une constante prise en charge physique et psychologique… En France, cet enfant martyr serait hospitalisé dans un centre de grands brûlés comme Percy. Ici? Rien ou si peu! “On bricole…Au monde qui crève d’indifférence, je dis: Regardez cet enfant que je suis obligé de renvoyer dans une chambre minable d’un centre de réfugiés, et qui vit dans le même survêtement depuis deux mois, depuis le jour du bombardement. Honte à ceux qui pourraient et ne font rien!”» Ghazi Aswad, l’homme aux mains d’or, ouvre un vieux tiroir grinçant. Il en sort une boîte de bonbons, qu’il donne à son petit patient, lui arrachant un maigre sourire, puis une autre: des antidépresseurs. Il avale deux cachets d’un coup. «Nous en sommes tous là, les soignants, et nous ne nous cachons pas. Sans cela, on ne tiendrait pas.»

«Là où tout a basculé, raconte le chirurgien français, la voix étranglée de colère, c’est lorsque nous avons vu arriver celles et ceux comme Omar, pour lesquels on ne comprenait rien au début, avant de conclure que nous avions affaire à des blessés souffrant indubitablement de symptômes de bombardements à l’arme chimique.» Brûlures sous-cutanées ou dévorant la peau, cloques, irritations, déformations physiques, perte de cheveux, de la mémoire, défaillances du système nerveux, douleurs musculaires et osseuses, malaises, nausées, vomissements, accès de fièvre, asthénies, paralysies, tout l’organisme qui se déglingue, aucun traitement adéquat et parfois la mort au bout. «Le catalogue d’une horreur qui nous ronge aussi», lâche le toubib.

Et pourtant, la communauté internationale n’a cessé de multiplier les avertissements. Le président des Etats-Unis, Barack Obama, déclare le 3 décembre 2012: «L’utilisation d’armes chimiques est et serait totalement inacceptable. Si Bachar El-Assad commence à utiliser ces armes, il y aura des conséquences.» La fameuse «ligne rouge» est fixée. Les chancelleries occidentales, l’Otan, la France de François Hollande et sa diplomatie embrayent: «Notre réplique serait massive et foudroyante», affirme le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, l’été dernier.

LA DECOUVERTE

C’est à la fin de ce même été que je rencontre à la frontière nord du Liban nombre de réfugiés, dont des combattants de l’ASL. Leur pays est à portée de vue. Et de snipers. Tous se plaignent de maux de tête, étourdissements, vomissements, maladies cutanées. Et font état d’étranges bombes au faible pouvoir destructeur, mais dégageant des fumées nauséabondes qui les affectent visiblement. Cap sur le village le plus proche: la pharmacienne dit avoir été submergée par des demandes d’antidouleurs, de lotions réparatrices, crèmes et savons spéciaux. Le médecin assure n’avoir jamais été confronté à un phénomène similaire, ni pouvoir l’expliquer. 

Surprise dans les bureaux du Conseil national des réfugiés syriens. Personne, ici, ne s’étonne. Un appel daté du 3 mars 2012 (!) a été rédigé par le comité médical. Appel à toute autorité scientifique, gouvernementale ou non, pour que soit levé ou confirmé le très fort soupçon d’emploi d’armes chimiques. Les docteurs veulent rester mesurés: «Les investigations que nous avons réalisées permettent au comité médical de la coordination des réfugiés syriens de suspecter fortement l’existence de nombreux cas liés à l’usage d’armes interdites chimiques, bactériologiques. Nous demandons une aide internationale, que les organisations de protection des droits de l’homme enquêtent sur ces cas, que le dossier ne reste pas sans suite.» Avec leurs pauvres moyens, dans la cacophonie de la guerre, des bilans de combats d’une violence inouïe, ils envoient des e-mails un peu partout. Qui resteront lettres-mortes. L’homme chargé de cette « campagne de communication » me donne rendez-vous un mois plus tard, promettant des documents édifiants. Mais c’est un zombie terrorisé que je retrouve à Beyrouth, les mains vides, persuadé d’être dans la ligne de mire des agents syriens. «Revenez plus tard.» bredouille-il en tremblant A l’heure du nouveau rendez-vous, il aura fui vers la Turquie.

Octobre: la porte d’un des responsables du Conseil des réfugiés s’ouvre. Un homme dont le regard jette des éclairs noirs et la voix cingle: «Nous n’avons vu personne! Des organisations internationales réputées n’ont pas bougé. Rien!» Ahmed est activiste de la première heure. Il nous reçoit dans un lieu secret à Tripoli, ville sous haute tension où s’affrontent régulièrement pro et anti-Bachar El-Assad. Chaque jour, Ahmed établit une connexion directe avec les réseaux de la rébellion en Syrie. En temps réel, il reçoit toutes les informations des différents fronts. « Il y a une semaine encore, assure-t-il, Homs a subi une attaque chimique »

« L’OCCIDENT RESTE SOURD ET AVEUGLE »

La ligne rouge de l’emploi de ces armes, fixée par les Obama, Hollande? « Elle a été franchie cent fois tempête l’activiste. Mais nous n’avons pas voulu faire de propagande. D’autant que la stratégie de Bachar El-Assad est de ne pas tomber dans le piège qui consisterait à les employer massivement ». Ahmed et les siens ont simplement lancé leur appel. Pour que des experts habilités tranchent en toute indépendance. « Nous les attendons toujours. Seulement l’Occident reste sourd et aveugle. Que serait aujourd’hui la fameuse “riposte immédiate et foudroyante” promise par Fabius?»

A Beyrouth, dans le recoin d’un café enfumé, un très haut gradé de l’armée libanaise, venu discrètement en civil, me le confirme début 2013: «La fameuse “ligne rouge” de l’utilisation des armes chimiques est un leurre permettant de justifier l’inaction. « Il est impensable que vos services de renseignements militaires ignorent la vérité. Mais le politique impose l’omerta. Aucun laboratoire militaire n’a été sollicité et personne ne bouge.»

Malgré la sauvagerie du conflit, malgré le chaos et l’errance, des documents capitaux ont été conservés. Je les découvre à l’hôpital libanais Dar el-Chifae, à Tripoli. Un fleuron de modernité médicale dans une ville abonnée à la grande pauvreté. Mais le même désarroi qu’au dispensaire 24/24 pour les cas flagrants. Le président de l’établissement, le Dr Mahmoud El Sayed, qui dirige aussi le Secours médical islamique, association purement caritative, «dans un pays où chaque courant religieux a la sienne», tient-il à préciser, est un homme de poids. Le ponte, qui gère tout le dossier d’aide au peuple syrien, reçoit Paris Match dans son immense bureau au dernier étage d’un bâtiment ultramoderne.

« INTOXICATIONS A L’ARME CHIMIQUE, EXPOSITIONS À DES GAZ TOXIQUES, NEUROPATHIES POST-INHALATIONS À DES AGENTS CHIMIQUES »

L’homme, qui a fait ses études de médecine en Europe, va droit au but: «Regardez tous ces certificats et ces dossiers complets.» Mahmoud El Sayed montre des dizaines de pages évoquant sans détour des «blessés de guerre, intoxications à l’arme chimique, expositions à des gaz toxiques, neuropathies post-inhalations à des agents chimiques»… Pour l’un d’eux, le médecin traitant mentionne «une très probable intoxication des voies respiratoires» aux agents les plus redoutables: les organo ou chlorophosphorés. Le boss de l’hôpital livre sans peine les détails d’évacuations courageuses, insensées, sous les bombes. Les familles et proches ont pris tous les risques, tentant d’éviter chemins minés et check-points militaires, transportant certains malades en brancard, épaulant les autres avant l’arrivée au Liban. «Je n’oublie pas tous ceux qui sont restés là-bas, qui n’ont pas eu la force ou les moyens de tenter le coup, dit le Dr Sayed. Tous ceux qui sont morts sans savoir ce qui leur arrivait, tous ceux qui sont encore visés.»

Mais le patron de l’hôpital Dar el-Chifae s’interdit de parler politique. «En aucun cas nous n’avons voulu être instrumentés. Nous sommes des soignants, pas des diplomates! Nous avions nos questions, nos équations, mais nous n’avions pas toutes les réponses pour aider nos “cas chimiques”, alors j’ai juste fait mon devoir.» Le Dr El Sayed a pris son téléphone et déclenché son alerte rouge. «J’ai appelé tout le monde! J’ai prévenu à Beyrouth la Croix-Rouge internationale, la Croix-Rouge libanaise. Je les ai rappelées trois fois. Je me suis heurté à un mur. L’homme n’a pas renoncé. J’ai joint le réputé hôpital universitaire américain. Même échec! Ils m’ont demandé de leur apporter des échantillons de terre touchés en Syrie par les projectiles, pour les analyser! Pourquoi pas me demander d’aller sur la Lune?» Plus grave: «Je leur ai quand même envoyé des échantillons de sang des malades. J’attends encore le résultat.» Au final, le Dr El Sayed a contacté le célèbre établissement de l’Hôtel-Dieu, en France. Encore pour rien. Le ton du président de l’hôpital se durcit: «Je défie aujourd’hui ces institutions prestigieuses, qui ont manqué à leurs devoirs élémentaires, de démentir ces contacts infructueux! J’étais prêt à tout. Ils n’ont rien fait.»

Le professeur el_Sayed, qui a tenté dès 2012 d'alerter la communauté internationale. En vain. @Frederic Helbert

Le professeur el-Sayed, qui a tenté dès 2012 d’alerter la communauté internationale. En vain. @Frederic Herbert

Le médecin a quand même réussi, grâce à ses réseaux et sa notoriété, à faire venir des délégations médicales du Koweït, d’Arabie saoudite. «Et même des French Doctors, mais je vous mentirais en vous disant me souvenir à quelle organisation ils appartenaient exactement. Tout le monde a détourné les yeux. Enfin, ils ont tous pris des photos. C’est tout! Personne ne nous a offert simplement l’aide d’experts ni voulu confirmer un diagnostic qui aurait mis l’Occident tout entier face à ses responsabilités.»

CERTAINS DES PATIENTS ONT PERDU LA RAISON

Derrière son bureau où s’étalent dossiers, documents, photos, vidéos, Mahmoud El Sayed tonne: «Le monde doit savoir.» Son regard se voile. Certains des patients ont perdu la raison. «Nous avons réussi à en retenir deux qui tentaient de sauter par la fenêtre pour en finir.» La mine sombre, le patron de l’hôpital conclut: «De guerre lasse, leurs familles sont venues les récupérer. Nous ne savons même plus où ils sont, ce qu’ils sont devenus, s’ils sont encore vivants ou non.» Les combats sont très intenses autour des chemins de l’exode; alors, les victimes de ces attaques ne veulent plus prendre des risques insensés, sachant qu’au Liban personne ne peut quasiment rien pour eux.

Retour au dispensaire 24. Un médecin syrien nous amène au chevet d’un petit garçon de 1 an et demi, Mohamad, brûlé à 40% au deuxième degré et souffrant d’un traumatisme respiratoire. L’enfant est sous perfusion dans un lit de fortune, couvert d’une armure de pansements. Sa mère, Nola, venue de la région de Hama, est là en permanence. Souffrant le martyre à l’unisson, mais gardant un visage fermé, d’une dignité exemplaire, qu’elle refuse de cacher comme le font beaucoup de femmes par crainte des représailles. Le père? Absent… Il se bat quelque part sur le front syrien. s’il est encore vivant.

Mohamad et sa mère qui veille en silence son enfant. @Frederic Helbert

Mohamad et sa mère qui veille en silence son enfant. @Frederic Herbert

Le docteur Obeid, toxicologue syrien de haut-niveau,examine Mohamad dont le corps est ravagé par des brulures inexpliquées @Frédéric Helbert

Le docteur Obeid, toxicologue syrien de haut-niveau,examine Mohamad qui souffre le martyr. @Frédéric Herbert

«Nous changeons les pansements du gamin toutes les semaines», dit le Dr Ahmad Obeid, 42 ans, diplômé de toxicologie, qui, avant la révolution, fut sélectionné dans une unité d’élite d’un hôpital syrien. Ce médecin sait de quoi il parle. C’est pour ses compétences «spéciales» qu’il était une cible pour Damas lorsqu’il opérait dans un hôpital de fortune, à Homs. L’histoire de Mohamad correspond désormais à un scénario éprouvé. Une bombe, des fumées blanches, toxiques, puis l’apparition subite de brûlures qui calcinent la peau, et de multiples douleurs. Gazhi Aswad vient aux nouvelles. La révolte du «toubib» français ne s’est pas apaisée: «Mohamad devrait être suivi et en permanence, mais, par manque de lits, nous ne pouvons l’hospitaliser que deux jours d’affilée. Sa mère est ensuite obligée de quitter le centre et d’y revenir chaque semaine. Un scandale!»

«J’AI MAL PARTOUT», GLISSE L’ENFANT DANS UN SOUFFLE, EN S’ARRACHANT UN MORCEAU ENTIER DE PEAU

Soudain, les médecins sont appelés en urgence. Dans la cour du dispensaire, une femme implore, portant un enfant qui a perdu tous ses cheveux, marqué par une affreuse blessure sur toute la largeur de la nuque comme si la peau avait été arrachée en profondeur. La plaie, un rien au départ, est devenue béante et salement infectée.

victimes chimiquesno comment @Frédéric Helbert

A l’étage, une secrétaire médicale dévoile des clichés insoutenables: Salim, 11 ans, est arrivé en novembre dernier. Des photos montrent ses mains devenues énormes, totalement difformes. Avec des cloques, des boursouflures géantes. Le visage du gamin est aussi touché, comme brûlé à l’acide. C’est un des cas les plus spectaculaires. «Par-delà ses souffrances, s’insurge Ghazi Aswad, il aurait besoin de chirurgie réparatrice. Nous voudrions l’envoyer à l’étranger. Comment faire alors que ce gosse n’a plus de papiers, de passeport, de parents, et vit dans la misère? Comment faire alors que nous sommes submergés? Tout le monde s’en fout!»

Quant à Omar, l’enfant momie, il a attendu sagement sur un lit de fortune d’un autre âge. L’attente, c’est maintenant l’essentiel de sa vie perdue, comme une condamnation éternelle. «J’ai mal partout», glisse-t-il dans un souffle, en s’arrachant machinalement un morceau entier de peau. Il se presse les mains d’un geste convulsif, et son regard fuit vers le sol, comme à l’habitude. La peur de l’autre est devenue son univers. Il ouvre son haut de survêtement. Tableau effrayant. Le sang, les taches suspectes qui percent sous les bandelettes. Le ventre ressemble à un morceau de marbre strié. Ici, ce sont des lambeaux entiers de peau qui ont disparu. Là, les os sont presque apparents.

Omar, victime emblématique de l'utilisation des armes chimiques @Frédéric Helbert

Omar, victime emblématique de l’utilisation des armes chimiques, face au Docteur Aswad @Frédéric Helbert

«Cet enfant supporte l’insupportable, moi pas», tempête le médecin français, bientôt rejoint par son confrère, le toxicologue syrien. Ce dernier, réputé pour ses blagues de carabin quand le «blues» devient trop fort, est venu présenter, le visage grave, une requête solennelle: «Je sais que chez vous aussi il y a des problèmes… Je sais que nombreux sont ceux qui refusent de nous croire et vont crier au coup monté. Mais nous, médecins, nous demandons à la communauté internationale de bien réfléchir et de reconsidérer sa position sur l’évident usage des armes chimiques par le régime syrien.» Et il martèle: «Nous avons les patients, nous avons les cas cliniques, nous avons les preuves. Nous avons les documents, les analyses. Oui, nous sommes prêts à tout vous montrer, vous démontrer. A tout expliquer au monde. Mais faites vite avant qu’il ne soit trop tard.»

Frédéric Helbert. 


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À propos de l'auteur

Grand-reporter de guerre, (souvent), journaliste d'investigation, multi-médias, tous terrains, membre de l'association de la presse judiciaire, passionné par les phénomènes terroristes depuis le début de ma carrière à Europe11. Tropisme assumé pour le Moyen-Orient et la péninsule arabe-musulmane. Jamais rassasié d'infos,  accro à tous types d'enquêtes et reportages, j'aime explorer le dessous des cartes de dossiers sensibles. En toute liberté. Vos témoignages, vos infos, vos commentaires sont  bienvenus!

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