Frédéric HELBERT, journaliste d'investigation

Notre rôle n’est pas d’être pour ou contre, il est de porter la plume dans la plaie. (Albert Londres)


L’affaire Merah: la liberté de la Presse, TF1 et le CSA, la confusion totale des genres…

Publié le 11/07/2012 à 04h00 | ,  | Écrire un commentaire

Avant de revenir au coeur nucléaire de l’enquête, un détour par cet épisode politio-médiatique qui aurait déchainé les bonnes consciences si Nicolas Sarkozy était toujours au pouvoir:

Le CSA, dont l’indépendance politique,n’est plus à prouver… colle une « mise en garde«  à TF1, suite à la diffusion d’extraits audio de la négo Merah/RAID/DCRI

– L’absurde d’abord : Si ce n’était pas TF1, diffuseur d’une émission de qualité produite par Emmanuel Chain, jamais « l’affaire dans l’affaire », n’aurait déclenché pareil tollé, pareil débat, d’autant que ainsi que je l’ai déja précisé pour rafraichir la mémoire des oublieux, Dans leur ouvrage « l’affaire Merah, l’enquête », Jean-marie Pontaut et Eric pelletier, avec lesquels j’ai participé à plusieurs débats radio ou TV depuis, sont allés beaucoup lus loin dans la révélation du contexte, des détails, du contenu des négociations enregistrées entre le RAID, un membre de la DCRI et Mohammed Merah. Ils ont eu accès aux enregistrements, vu les vidéos des assassinats de Merah, obtenu des éléments contenus dans le dossier judiciaire, et en on fait état, sans qu’aucune autorité quelconque ne s’en émeuve.

Si l’on remonte plus loin, et que l’on revisionne les images du « siège » de 32 heures autour du domicile de Mohammed Merah, on peut relever, ce qui avait stupéfait alors les experts du contre-terrorisme, que Claude Guéant, alors ministre de l’Intérieur, envoyé à Toulouse pour des raisons purement politiciennes, accompagné alors de tout l’état-major de la PJ, et du Procureur de Paris, qui dirigeait alors l’enquête préliminaire (donc en étroite concertation avec la hiérarchie judiciaire, et les autorités de l’état), n’y avait pas fait que de la figuration. C’est de cette époque, alors que rien n’est encore résolu, que Guéant, et le procureur François Molins vont multiplier les révélations en direct devant les caméras sur les motivations de Merah, son itinéraire, ses formules fracassantes: « J’aime la mort comme vous aimez la vie »,  « je regrette de ne pas avoir tué pus de personnes », « Je suis le serviteur d’allah »,  » J’ai été entrainé par les frères d’al qaida », etc… Les deux hommes se contrediront même sur un point d’importance: Claude Guéant, révélant que le tueur a filmé ses crimes, avec une caméra « Go-Pro », élément dont le procureur de Paris, dira dans une conférence de Presse,  » ne pas avoir connaissance »…. L’objectif apparait alors au delà de ce couac clair: La france doit réaliser que Mohammed Merah est un monstre, un fou de Dieu, qui n’a aucun regret (si ce n’est celui d’avoir fait couler plus de sang), une détermination totale, une capacité à tromper les enquêteurs, et qu’il faut donc le neutraliser à tout prix. « Jamais dans ma carrière, dit un membre du staff contre-terroriste, ayant de la bouteille, je n’ai vu une telle instrumentalisation médiatique, et autant de révélations, venues du coeur du pouvoir sur le mode « on » devant caméras et micros ».

Après la mort de Mohammed Merah, Nicolas Sarkozy a donné le « la »: Accord pour des interviews de Squarcini  (une aberration selon un membre de la communauté du renseignement), d’Ange Mancini (coordinateur de la lutte anti-terroriste entre DGSE et DCRI), de Frédéric Péchenard, alors DGPN, et même d’Amaury de Hautecloques, patron du RAID, (mais ses ITW seront brèves, et peu poussées) car déjà, très vite, certains se posent des questions sur le modus-operandi du RAID lors du premier assaut, de la négo, du 2eme assaut, des options tactiques choisies, et des zones d’ombres d’un récit officiel, qui ne tient pas debout une seule seconde. Ayant demandé personnellement un entretien approfondi avec le chef du RAID, via un ami commun, il me fut alors répondu: « impossible, la com est totalement verrouillée par l’Elysée ».

On se souvient aussi qu’alors, Nicolas Sarkozy, ne se privait pas de commenter les enquêtes de Presse, ou ITW diverses, s’indignant qu’on puisse donner la parole au père de Mohammed Merah, que l’on puisse critiquer les « héros » du RAID, (dont l’action fut alors aussi saluée par le candidat François Hollande…). Bref Nicolas Sarkozy, dont nous savons le grand respect qu’il a pour les journalistes, et les moyens qu’il peut mettre en oeuvre pour trouver leurs sources dans des dossiers encombrants, se posait alors comme grand Inquisiteur, et haute autorité non officielle de la Presse dans son ensemble.

Certains (patrons de Presse) ont écouté, et dans l’incertitude, se sont gardés de faire pousser les feux de leur contre-enquête, d’autres ont fait le job, en prenant parfois plein la tronche, j’en sais quelque chose, même si d’un autre coté, nombre de personnes souhaitant savoir et comprendre ont soutenu l’effort d’investigation des journalistes divers et variés tentant d’éclairer les zones d’ombres ou à tout le moins de les mettre en exergue. Mais au café du commerce, ca y allait sec. i »l n’a eu que ce qu’il mérite », « arrêtez de soutenir un tueur d’enfants! », « ce salop est mort, basta », « les hommes du RAID sont des héros, vous les salissez », « sale gauchiste », défenseur de terroristes », « journaliste de salon »,  j’en passe et de pires. A ce titre, je rappelle, pour ce qui me concerne, je travaille sur le terrorisme depuis le début de ma carrière. Je sais ce que c’est qu’un attentat, j’ai couvert les différentes campagnes qui ont frappé la France, le 9/11, les « oeuvres d’al Qaida. L’irak, L’Afghanistan, la Syrie, La Jordanie, Israel/Palestine, Le Liban, la Somalie, le Maghreb, j’y suis allé. Je sais ce que c’est qu’une balle qui siffle, une voiture piègee qui explose, un attentat de masse, et toute l’horreur y étant associée. Quant aux familles de victimes, j’ai travaillé des années avec SOS attentats, Francoise Rudetski, ceux qui ont repris le flambeau. J’ai révélé sur Europe1 en son temps la première étude épidémilogique réalisée par le docteur William Dab. J’ai rencontré des femmes, des hommes, qui n’ont jamais retrouvé de vie normale, qui ne peuvent plus prendre le métro, aller dans un grnd magasin, qui ont la phobie de la foule, qui ne peuvent plus allumer un four ou un briquet, celles et ceux dont la vie est devenu un enfer. Je sais aussi les combats et les épreuves endurées par les familles des victimes décédées dans les attentats. Comme je sais que parfois, souvent, face à la raison d’Etat, la presse est d’un bon secours, pour faire avancer un dossier qui bloque….

Mais bon revenons au reportage de 7 à 8 diifusé sur TF1.  Y-a t’il du sensationnalisme dans ce reportage? Non. Y a t-il des images indécentes? Non. Y-a t-il des révélations que l’on ne savait déja? non. Y a –il un commentaire, un montage prêtant le flanc à la critique? Non! Cristophe Dubois qui a réalisé ce « coup », est réputé pour être un excellent journaliste, rigoureux, sérieux, et ne faisant pas des numéros de cirques comme on peut en voir ailleurs… La valeur informative dont se prévaut TF1, obligé de se défendre est ailleurs. Elle est d’abord dans la voix de Merah . Et la manière dont il parle. Le tueur a un accent chantant, pas celui « racaille ». il parle « à la cool », tranquillement, évoque ses crimes, ses projets avortés, sa situation, comme s’il parlait de tout et de rien, sans émotion particulière. Le ton est calme. Merah envoie même  parfois de la « vanne ». Bref, horreur: Si l’on fait abstraction de ce dont il s’agit, Mohammed Merah pourrait, dans cette situation extrême, apparaitre comme « un mec sympa ». en tout les cas, il parle sans injurier, sans vomir « les chrétiens, les mécréant, les croisés, les impies », il récite gentiment son abécédaire de combattant d’Allah. Il n’est pas une caricature de « barbu, le couteau entre les dents ».  Il parle comme « le gentil garçon » qui  aidait les vieilles dames à traverser ou leur portait leur sac… Bref « le monstre » n’a pas une gueule, ni une voix de « monstre ». Voila ce qui peut déranger, déstabiliser. Je me souviens à propos d’un dossier ayant aussi défrayé la chronique, la prise d’otages de HB, Eric Schmidtt, dans la maternelle de Neuily, qu’après la »neutralisation » définitive de HB, qui portait une ceinture d’explosifs, c’était un samedi matin, j’avais envoyé à Europe; le témoignage d’un des acteurs de la négo, aussi avortée, qui m’avait dit: HB n’a jamais été menaçant avec les enfants, il les a toujours bien traité, a plusieurs reprises, i la joué avec eux ». Le rédacteur en chef, présentateur de la matinale m’avait alors dit: « on ne peut pas passer un tel témoignage. c’est pas possible. Le public ne l’accepterait pas! ». En d’autres termes, les « monstres » doivent rester des « monstres ». Point barre! La double, la triple personnalité de Merah, on s’en fout! Et pourtant la vraie question n’est t-elle pas là? Comment un jeune homme, un peu paumé, un peu voyou, un peu kakou de la cité, peut devenir un machine impitoyable à tuer au nom d’Allah?

L’autre aspect qui a pu troubler ceux qui connaissent mal les mécanismes internes d’une négociation, est le climat de cette conversation. Les négociateurs, ceux du RAID, « l’ami de la DCRI » de Merah cherchent à établir un climat de confiance. Ou il faut obtenir le maximum d’informations du « forcené », faire diminuer la tension, instaurer un climat presque de « complicité ». C’est la règle, pour tenter d’éviter un assaut. Dans cette affaire précise, et compte-tenu de qu’était Merah, cela s’est fait facilement, et les interlocuteurs se parlent comme s’ils étaient très proches. Pas d’anathème, de jugement, de menaces. C’est la règle encore une fois. Evidemment, vu a froid, cela peut choquer, interpeller. Comme,  j’y reviendrai, le contenu de la discussion spécifique entre Merah et son correspondant DCRI, ou les deux hommes semblent très, très proches…

On aurait sans doute, dans l’idéal, aimé que cette séquence puisse être montrée, aux familles, à l’une d’entre elles tout au moins, et que l’un de ses membres évoque face caméra, ce que pouvait lui inspirer une telle « séquence ». Les choix de 7à8 et TF1 ont été autres. Donner un maximum (non à voir), mais à entendre. puisqu’il s’agissait d’un document exclusif. En choisissant, -croyez-moi-, les extraits les plus softs des conversations. Si TF1 avait voulu faire dans le sensationnalisme, il y avait d’autres extraits infiniment plus violents (la violence est d’autant plus grande lorsque l’horreur est évoquée avec calme, et sur un ton presque détaché) que la chaine ou les journalistes travaillant pour Emmanuel Chain auraient pu reproduire.

Que les familles de victimes, (qui d’ailleurs ne sont pas une entité, un « bloc »,) aient pu être choqué et protester de cette diffusion, on peut le comprendre. Mais à y regarder de près, par delà le débat que cela a déclenché, l’étrange intervention du CSA qui joue les censeurs, confondant éthique, déontologie, morale, et adresse des mises en gardes à gogo, il apparait plus important, dans l’intérêt de l’enquête, et le souci que surgisse la vérité dans un dossier nébuleux, ou chacun joue désormais sa partie (notamment au niveau des services de police et renseignement concernés), que la diffusion du reportage de TF1 ait « libéré davantage la parole », et permis une série de révélations en cascade qui en disent long sur les « manips » éventuelles et les « foirages » dans le traitement en renseignement, ou dans sa phase opérationnelle.

N’était-ce pas ce que voulait Manuel Valls? Qui lâche aujourd’hui l’IGPN en perquisition dans les locaux d’Eléphant et Compagnie », la maison de production d’Emmanul Chaim… Pour chercher qui a été à l’origine de la fuite… Et ce alors que la gauche poussait des cries d’orfraies lorsque les sbires de l’ex-Président, Nicolas Sarkozy, allaient jusqu’à réquisitionner… la DCRI pour identifier les sources d’organes de presse dans l’affaire Bettencourt.

La presse, n’est pas plus un bloc et une entité, que sont les familles de victimes, les terroristes, la police, ou autre, mais TF1 a fait son métier. ni plus, ni moins. La chaine a souvent encouru des reproches pour des « oublis » dans le traitement de l’info, ou l’établissement d’une hiérarchie de cette même info parfois surprenante, pour qu’on ne lui « tombe pas dessus », alors qu’elle a diffusé un reportage, dont on comprendra qu’il ne peut satisfaire tout le monde.

Il n’est  pas de consensus possible, dès lors que l’on s’attache à établir la « vérité » ou les responsabilités dans l’affaire Merah. Et au regard, de ce qui s’est passé depuis près de 4 mois, (et même avant, si l’on considère que les services de l’état ont failli), Ce n’est pas  à une chaine de télé, ou un organe de presse qu’il faut faire procès, mais plutôt à ces services de l’état et leurs responsables, dont une action de possible prévention eut pu empêcher un Mohammed Merah de passer à l’acte,  et dont l’attitude depuis, notamment à l’égard des familles de militaires, mériterait peut-être une « mise ne garde » voire un sérieux blâme, au regard de l’indélicatesse, la mesquinerie, et le peu d’égards offerts aux parents de ceux qui sont tombés sous les balles de Mohammed Merah.

A suivre

FH


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À propos de l'auteur

Grand-reporter de guerre, (souvent), journaliste d'investigation, multi-médias, tous terrains, membre de l'association de la presse judiciaire, passionné par les phénomènes terroristes depuis le début de ma carrière à Europe11. Tropisme assumé pour le Moyen-Orient et la péninsule arabe-musulmane. Jamais rassasié d'infos,  accro à tous types d'enquêtes et reportages, j'aime explorer le dessous des cartes de dossiers sensibles. En toute liberté. Vos témoignages, vos infos, vos commentaires sont  bienvenus!

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