Frédéric HELBERT, journaliste d'investigation

Notre rôle n’est pas d’être pour ou contre, il est de porter la plume dans la plaie. (Albert Londres)


Crash Airbus A321. Enquête, Incertitude et cacophonie internationale. Round-up

Publié le 06/11/2015 à 14h26 | , , , , , , , , , , , , , , ,  | Écrire un commentaire

crash airbus egypte

Que sait-on avec certitude sur les origines de la catastrophe?

On sait que l’on ne sait pas grand-chose… Et que plusieurs versions s’affrontent. Une seule certitude: l’avion a explosé en plein vol à environ 30 000 pieds (10 000 mètres) de hauteur, et s’est disloqué dans les airs, avant que les diverses parties de l’appareil, continuant à se dégrader au cours de la chute, ne viennent s’abimer dans le désert. Aucun message de détresse n’a été lancé. Rien qui ne puisse laisser à penser que l’équipage ait pu se rendre compte d’une éventuelle panne technique. L’ hypothèse de la panne technique semble ne pas « coller » avec le déroulé des « faits », tant l’explosion est survenue brutalement, tuant instantanément tous les occupants de l’appareil. Exclue aussi par le scénario même de la catastrophe et son timing: l’idée une faute de pilotage. « La encore dit un commandant de bord, par delà le fait que le pilote était chevronné, il apparait clairement que l’Airbus s’est disloqué en un instant du fait de l’explosion ». Donc on en revient 6 jours après le crash à l’idée d’une explosion en plein vol. C’est le seul point sur lequel toutes les parties semblent s’accorder. Pour le reste, la bataille d’experts, étatiques, diplomatiques, médiatiques, fait rage… La cacophonie est totale. L’état islamique peut jubiler…

L’origine de l’explosion?

Elle n’est pas venue de l’extérieur. L’hypothèse d’un missile pouvant atteindre un avion volant à une altitude de croisière a été exclue à l’unanimité. Les experts militaires estiment impossible qu’une faction armée, affiliée à  l’état islamique, ait eu le matériel,  les moyens et les compétences de tirer un missile de très longue portée à partir du sol. Reste l’hypothèse actuellement privilégiée par nombre d’investigateurs, notamment américains et anglais: Une explosion due à une bombe placée à bord. A l’appui de cette thèse, que les Etats-Unis et la Grande-Bretagne privilégient, la soudaine brisure de l’avion et un « flash de chaleur » détecté par un satellite US.

Par ailleurs, selon certaines fuites, des services de renseignement auraient intercepté des communications internes entre membres de l’état islamique évoquant « le succès de l’opération ». Mais pour l’heure, officiellement, aucun élément matériel parmi ceux collectés sur les lieux de la catastrophe, n’est venue étayé cette thèse, contestée tant par les autorités égyptiennes que russes. Officiellement donc, pas (encore?) de traces d’explosif retrouvées sur les débris de l’appareil. Et Si les boites noires ont été vite retrouvées, leur exploitation pourra demander du temps, tant elles ont été abimées lors du crash, où tant les autorités égyptiennes souhaitent qu’une chape de plomb pèse sur un dossier si sensible. « C’est pourtant l’analyse de ces boites noires qui pourrait permettre de « clouter » une hypothèse, d’en écarter une autre » dit un policier d’Interpol. Si les fichiers sonores n’ont pas été trop endommagés, ils pourraient permettre d’entendre le son de l’explosion, et de mesurer la vitesse du souffle à l’intérieur de l’appareil, si bombe il y a eu…

L’attitude de l’état islamique

C’est un cas d’école unique dans les annales du terrorisme. L’état islamique a revendiqué par des canaux « certifiés », sur twitter, et via une vidéo la responsabilité de ce qui serait leur premier attentat aérien. Ce que nombre « d’experts » prennent pour « argent comptant » en répétant à l’envie que l’état islamique  n’a jamais revendiqué un acte qu’il n’aurait pas commis…

Mais si les hommes de Daech affirment être à l’origine d’une explosion criminelle, l’organisation ne livre aucun détail, aucune info, aucun élément qui permettrait de confirmer sans l’ombre d’un doute qu’elle est responsables du crash. Rien sur le mode opératoire, l’identité d’un éventuel kamikaze, rien qui permette en l’état d’être sur à 100% de leur implication. Depuis que l’avion russe a explosé, l’état islamique laisse le doute planer, allant jusqu’à renvoyer à l’analyse des boites noires. « Vous verrez bien alors » a dit un leader de l’EI. Manipulation savamment orchestrée? coup de bluff? Manière de protéger d’éventuels complices qui auraient permis le placement d’une bombe dans une des soutes à bagages de l’avion? « Tout est possible estime un magistrat, qui est au premier rang de la lutte contre les terroristes de l’état islamique. « Imaginons que les analyses techniques écartent la thèse de l’attentat, et que par exemple, ce soit un réservoir d’essence qui ait explosé accidentellement, l’état islamique aura quand même gagné la partie! On dira que ce sont les égyptiens qui ont voulu étouffer l’affaire. Les « complotistes » se déchaineront. Le mal sera fait, car un doute substituera toujours. l’EI aura fait une « récup » incroyable d’une tragédie aéronautique ».

Déjà une victoire pour l’EI…

Là encore, c’est une situation inédite. « les probabilités, les indices, les circonstances, plaident en faveur de l’hypothèse de l’attentat, mais alors que rien n’est formellement confirmé, dit un enquêteur, mais la manière dont tout le monde agit, où réagit, c’est du pain béni pour l’EI »… De fait, Entre les compagnies qui suspendent les liaisons aériennes, celles qui interdisent le survol du Sinaï,  la Grande-Bretagne qui tente d’organiser le rapatriement de milliers de touristes, l’Egypte qui tente de s’y opposer (interdiction d’atterrissage de plusieurs vols Easy-Jet), La France qui soudainement, après la réunion d’un conseil de défense, décide de l’ envoi du porte-avions « Charles de Gaulle » dans la région « pour lutter contre Daech, l’évidence est là: La cacophonie règne au sein de la communauté internationale, et ceci alors que encore une fois, l’enquête  n’a pas débouché sur un résultat tangible ». Une séquence savamment entretenue  par les hommes de l’EI, quelque soit leur degré de responsabilité.  » Ils  savent parfaitement ce qu’ils font explique un membre du staff anti-terroriste français: « Ce sont des champions de la propagande, de la scénarisation de leurs actes, de la mise en scène, du « story-telling » de l’horreur terroriste ».

Les dissonances internationales…

Un avion français (Airbus), une compagnie russe, une station balnéaire égyptienne de réputation mondiale accueillant des touristes du monde entier, un régime égyptien autoritaire pour ne pas dire plus, le mouvement terroriste le plus puissant jamais connu, des chefs d’états et diplomaties  que tout oppose, des susceptibilités qu’il faut ménager, la catastrophe étant survenue sur fond de conflit syrien implique un « melting-pot » d’acteurs et facteurs, qui sont à l’origine de la cacophonie internationale.  Selon un diplomate en poste dans la région, « tout le monde ne tire pas dans le même sens. chacun voit midi à sa porte, des services se tirent la bourre, certains veulent tout savoir, d’autres craignent la vérité, il y a tant d’enjeux à tous niveaux, que la recherche de la lumière dans cette affaire peut se heurter à des intérêts profondément divergents ».  Voila pourquoi, par exemple,  russes et égyptiens « nagent à contre courant ». Pour les égyptiens, le tourisme et notamment à Charm-el-Cheickh est une source de revenus essentielle, et puis il en va de la réputation du Maréchal al-Sissi, le président égyptien, qui mène une guerre sans merci aux islamistes. Et s’il est prouvé que des islamistes ont pu bénéficier de complicités au sein même de l’aéroport de l’immense cité balnéaire, ce serait un très mauvais coup pour les autorités égyptiennes mais aussi pour le pays tout entier. Les Français eux ont tout intérêt à ce que l’entreprise Airbus soit dédouanée de toute responsabilité. Mais les équipes du BEA présentes sur le terrain « marchent sur des oeufs ». Pour la France, l’Egypte qui lui a acheté des avions de chasse Rafale et des navires Mistal, est devenu un partenaire commercial essentiel qu’il faut nécessairement ménager.  Quand aux russes, ils sont désormais officiellement en toute première ligne et incontournables dans le conflit syrien. Ce qui leur vaut les foudres de Daech. Mais une chose est de gérer une catastrophe aérienne comme il en arrive immanquablement, une autre est de faire face au spectre d’un attentat qui aurait frappé de simples citoyens,  à cause d’engagements militaires décidés par le pouvoir, et qui ne font pas l’unanimité dans la Russie de Poutine. « Croyez-moi assure un diplomate occidental, égyptiens et russes ne font pas  en l’état preuve d’un zèle exceptionnel quant aux investigations à mener pour tenter d’établir une vérité indiscutable, de peur qu’elle les montre en position de faiblesse et touchés de plein fouet par l’état islamique et leurs affidés ».

Près d’une semaine après l’explosion en plein vol de l’Airbus A321 de la compagnie « MétroJet »,  la catastrophe n’a livré aucun de ses secrets. Mais elle occupe le champ médiatique mondial. Et avive à la fois des sentiments d’insécurité légitimes, des tensions à l’échelle internationale. Barack Obama, le président US en est toujours réduit à considérer que la piste de l’attentat est la plus probable, mais sans pouvoir aller plus loin.

Quoiqu’ils aient fait, où non, les hommes de l’état islamique peuvent « jubiler ».  Maitres en l’art de semer la discorde autant que la terreur, ils ont déjà gagné une nouvelle bataille. Paradoxalement en communiquant à minima, ils alimentent un débat à l’échelle mondiale. Occupant jour après jour le champ médiatique, où les rumeurs sont reines. Et ce alors que rien n’est définitivement tranché sur le rôle exact qu’ils ont joué dans la survenance de la catastrophe. « Et ce n’est pas le dernier épisode du sinistre feuilleton prévient un expert de terrain du contre-terrorisme. Si l’enquête et les expertises techniques venaient à confirmer les soupçons de Barack Obama, David Cameron, jugeant « hautement probable » l’hypothèse d’un attentat à la bombe,  alors l’Egypte, la communauté internationale, et celle du transport aérien rentreront dans une période de turbulences et une série d’onde de chocs jamais connues auparavant ».

Frédéric Helbert


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À propos de l'auteur

Grand-reporter de guerre, (souvent), journaliste d'investigation, multi-médias, tous terrains, membre de l'association de la presse judiciaire, passionné par les phénomènes terroristes depuis le début de ma carrière à Europe11. Tropisme assumé pour le Moyen-Orient et la péninsule arabe-musulmane. Jamais rassasié d'infos,  accro à tous types d'enquêtes et reportages, j'aime explorer le dessous des cartes de dossiers sensibles. En toute liberté. Vos témoignages, vos infos, vos commentaires sont  bienvenus!

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