Frédéric HELBERT, journaliste d'investigation

Notre rôle n’est pas d’être pour ou contre, il est de porter la plume dans la plaie. (Albert Londres)


Mandela: A l’heure de l’hommage, retour sur son soutien permanent à la cause palestinienne

Publié le 10/12/2013 à 09h42 | , , , , , , , , , , ,  | Écrire un commentaire

De la cause palestinienne, Mandela fit aussi la sienne, sans aucune concession, revendiquant ouvertement son amitié avec Yasser Arafat. Et le refus de renoncer à la violence. A l’heure où des centaines de chefs d’états et de gouvernements seront là, pour une cérémonie planétaire, un absent notable: le premier ministre d’un état qui fut longtemps un partenaire essentiel de l’Afrique du Sud de l’apartheid, Benyamin Netanyahu. 

Jamais sans doute, la mort d’un homme, devenue un icône de son vivant, n’aura été l’objet de tant d’éloges venues du monde entier. Les reportages diffusés dans tous les médias de la planète ont montré des foules, de dirigeants, chefs d’états, têtes couronnées,  des hommes de toutes classes sociales, touts statuts, toutes origines, louant l’intégrité, la force, le courage, la droiture, la grandeur d’âme, l’extraordinaire parcours de celui qui fit advenir une nouvelle Afrique du Sud, pays des noirs et des blancs, débarrassé de l’Apartheid. Un combat de longue haleine, où Nelson Mandela jusqu’au dernier moment, pour maintenir la pression sur ceux avec lesquels il négociait, répéta plusieurs fois qu’il refusait un renoncement de principe à l’usage de à la violence. C’était une posture tactique jugée indispensable par l’homme qui voulait la paix et la démocratie plus que tout autre, et avait appris au cours des ans, dans sa prison, à haïr, mépriser cette violence.  A la condamner tout en continuant  à en faire planer la menace, refusant de désarmer l’ANC… Une « arme » qui servit pour faire aboutir des négociations.

Ainsi était Mandela, sachant jouer avec le feu pour mieux l’éteindre, l’homme qui aurait certainement refusé l’avalanche d’hommages et d’honneurs posthumes, sut vaincre la violence, réduire les groupes radicaux qui dans les deux camps continuèrent le temps des négociations à tenter de les saborder à coups de massacres. A l’issue d’un processus long, douloureux, parfois sanglant, « Mandiba » et son ex-meilleur ennemi devenu son partenaire – Frédéric De Klerk- ont transformé l’Afrique du Sud en démocratie, et permis à chacun d’acquérir le droit de vote. La conséquence était programmée :

En 1994, Mandela devient le premier Président d’Afrique du Sud noir. Et dans la masse des chefs d’états, personnalités, hauts-responsables  politiques invités, on distingue alors une silhouette aussi mondialement connue, celle d’un homme incarnant alors une cause dont on pense à l’époque qu’elle est en bonne voie, mais qui depuis est plus que jamais retournée vers une impasse: La silhouette, l’uniforme, le keffieh, le sourire de Yasser Arafat. Car Mandela que l’on décrit « juste parmi les justes » a toujours défendu la cause palestinienne et entretenu une amitié sans faille avec Arafat. 1994, c’est aussi l’année, où Arafat et Ytzac Rabin reçoivent ensemble le prix Nobel de la paix… Un an plus tôt, c’était le tandem Mandela/de Klerk qui l’avait reçu!

Mais en 1995, Nelson Mandela, qui comparait les injustices subies par le peuple palestinien, à celles que connurent en son temps, le peuple noir d’Afrique du Sud, est bouleversé par l’assassinat d’Ytzac Rabin, 1er ministre israélien, un homme qui avait « fait son chemin » aussi et s’était engagé  irrémédiablement sur celui de la paix entre israéliens et palestinien. Avec Arafat comme partenaire. Rabin disait qu’il négociait la paix comme s’il n’y avait pas de terrorisme, et qu’il combattait le terrorisme comme s’il n’y avait pas de négociation de paix. Un louvoiement difficile à la manière de Mandela qui rendit hommage à cet « homme qui avait payé du sacrifice suprême son combat pour la paix« . Rabin ne fut pas  assassiné par un palestinien, mais par un extrémiste juif, Ygal Amir. Qui évoluait dans des sphères dont plusieurs enquêtes ont démontré les liens avec Benyamin Netanyahu. L’a t-on oublié aujourd’hui? Les proches d’Ygal Amir avaient à plusieurs reprises manifesté devant le domicile d’Ytzac Rabin en le représentant revêtu d’un uniforme nazi!

Après cette tragédie, Arafat se retrouvé seul, sans celui qu’il avait combattu farouchement, avant que ne soit constitué un tandem et des liens de confiance uniques avec Rabin. Le tandem de la « paix des braves », de « la terre contre la paix » est mort… En israël, le traumatisme est énorme. Les hommes de l’administration Rabin jurent qu’ils continueront le combat, plus déterminés que jamais… J’ai le souvenir d’avoir « couvert » les obsèques bouleversantes de Rabin, sur la tombe duquel les serments de rester fidèle au processus engagé fleurissent. Mais l’extrémisme encore, et une campagne de violences, d’attentats kamikazes, notamment menée par les radicaux palestiniens du Hamas qui visent des bus  en Israël relance la spirale infernale du « sang qui appelle le sang ». Les tenants de la paix perdent le terrain. Quelques mois plus tard, C’est un « dur », un faucon, nouveau venu en politique qui emporte les élections de justesse: un certain Benjamin Netanyahu. Qui n’aura de cesse de casser ce qui a été si difficilement construit et voue une haine irréductible à Arafat.

Mandela qui depuis le premier jour de sa propre lutte, Mandela a « épousé » la cause palestinienne, il lui restera fidèle jusqu’au dernier jour. Sans concession ni pudeur de langage. Dans une atmosphère redevenue guerrière. Sans jamais démentir son lien particulier avec Arafat, (à nouveau diabolisé par l’administration israélienne) sans le renier. La statue de la lutte anti-apartheid ne vacille pas.  De ce soutien, dans un contexte aujourd’hui empoisonné, alors que le processus de paix est à l’arrêt quoiqu’on en dise, on a fait peu de cas à l’heure où Mandela a rendu son dernier souffle dans les grands networks, dans des médias reléguant parfois au rang de brève, d’une image, d’une formule, ce soutien intransigeant… Mais bien réel et n’ayant jamais rien perdu de sa puissance.

5 ans après le jour de gloire de son élection, alors qu’il a quitté le pouvoir, en 1999, Nelson Mandela est à Ramallah, invité d’honneur, devant le Conseil National palestinien: Et les propos du « vieux sage » africain, qui se souvient sans doute de l’époque où  très isolée, l’Afrique du Sud de l’Apartheid, entretenait un partenariat fructueux et stratégique avec Israël, lâchés d’une voix ferme, sous l’oeil d’Arafat, sont sans aucune concession:

« Il est inutile pour Israël de parler de paix tant que les israéliens occuperont encore des terres arabes conquises durant la guerre des 6 jours en 1967. Il faut choisir le chemin de la paix plutôt que celui du conflit, de la violence, de la confrontation sauf si nous ne pouvons obtenir cette paix par le dialogue, si on en peut avancer, alors si la seule alternative est la violence, Il faut, nous utiliserons la violence ». 

« Le propos était pesé venant d’un homme ayant tant bataillé, et accompli une si profonde métamorphose dans sa cellule, mais Cette cause palestinienne  lui était chevillée au corps et à l’âme, au nom d’une justice et d’une égalité, d’une démocratie et d’une paix pour tous. C’était là les sentiments qui le guidaient confie « un ancien compagnon de route » d’Arafat. il comparait le destin sombre des palestiniens à celui que connut son peuple. Les analogies lui semblaient évidentes ». Et lui l’ancien « terroriste aux yeux des grands de la communauté internationale en Occident, estimait que les palestiniens ne pouvaient pas plus que les noirs d’Afrique du Sud en leur temps, renoncer à avoir une branche armée, prête à recourir à la violence, qu’il détestait mais pouvait juger nécessaire ».

 » Mandela n’était pas Ghandi! Même s’il prôna aussi un temps la résistance pacifique. « Mais que vaut, que peut valoir la résistance pacifique lorsque des hommes en uniformes, pour la briser, font eux usages de leurs armes? » s’interroge-il à voix haute devant ses proches quand l’armée et la police sud-africaine tire à vue sur des populations avançant les mains vides. Mandela sait que le sang a coulé, qu’il y a eu même dans son propre « camp », (cf, le peuple zoulou), des massacres internes perpétrés par ceux qui ne voulaient ni paix, ni réconciliation. En ce sens, en insistant sur le fait qu’un peuple était en droit de prendre les armes et d’en user, il disait que ce serait folie que de vouloir continuer à avancer les mains levées en chantant et en dansant face à des hommes prêts à tout comme le furent ceux de certains services de police où de l’armée n’obéissant qu’à leur propre loi, où les groupes les plus radicaux d’afrikaners, qui ont aussi tenté de faire dévier la marche de l’histoire en « tirant dans le tas » sans aucun discernement et sans aucune autre raison que celle de vouloir perpétrer leur supériorité. A l’évidence, les paramètres sont différents au Proche-Orient. Ne serait-ce que celui de la religion qui joue un si grand poids, un poids trop lourd. Mais Mandela, qui a toujours refusé qu’on le « sanctifie », qui ne s’est jamais exempté des erreurs qu’il a pu faire, était de ceux qui estiment qu’il est une « violence légitime », dès lors qu’un peuple est spolié de ses droits, de ses terres, de ses villages et maisons, puis au nom de la sécurité , enfermé derrière des murs, des clôtures électriques,  simplement au nom de la loi du plus fort, du vainqueur, la loi de la jungle au mépris du droit international.

Ainsi Mandela n’aura de cesse de rappeler sa fidélité à la « cause », au nom de la justice, de l’équité, du droit à l’auto-détermination,  de l’égalité des hommes devant la loi des hommes, non celle de Dieu, ou des livres anciens. Parfois selon ses proches, il désespérait sincèrement en voyant la situation s’enfoncer dans un inextricable labyrinthe d’où aucune solution ne pouvait émerger. Il dénonçait le machiavélisme, le cynisme des gouvernements israéliens, jouant sans cesse le politique du pire, permettant de fait au Hamas de gagner du terrain, puis les élections, puis de s’emparer du pouvoir à Gaza après un coup de force contre l’Autorité Palestinienne. Le 11 novembre 2004, Mandela fut véritablement un jour de deuil personnel pour lui, sitôt la nouvelle de la mort de Yasser Arafat, connue, il  réagit en ces termes:

« Le président Arafat était une icône au sens propre du terme. Il n’était pas seulement préoccupé par la libération de son peuple, mais par celle de tous les peuples opprimés de la planète, arabes et non-arabes et perdre un homme d’une telle stature, un homme à la vision et à la telle pensée est un coup dur porté à tous ceux qui se battent contre l’oppression. Nous le regrettons et apportons nos condoléances à sa famille et au peuple arabe auquel il appartenait ». 

S’il parlait ainsi, c’est parce qu’il croyait sincèrement que Yasser Arafat, pouvait être, comme lui même  l’avait été, le seul capable de faire comprendre à son peuple, les concessions nécessaires pour parvenir à un accord historique. L’homme symbole d’une cause, qui avait versé dans la lutte armée, de la même manière que Rabin avait fait la guerre aux palestiniens, conquis Jérusalem, ordonné que l’on casse les bras des lanceurs de pierre, lors de la première Intifada, avant de troquer son uniforme pour un costume de 1er ministre, de faire un long cheminement personnel pour parvenir à tisser un lien unique avec son ennemi juré Arafat, jusqu’à la fameuse poignée de main de Washington.

Ainsi était la position de Mandela. Elle  n’a jamais, jamais varié. Quelles que fussent les évolutions du monde, la disparition de la « guerre froide », où sa victoire personnelle, faisant de l’Afrique du Sud une démocratie, où la voix d’un noir dans les urnes valait celle d’un blanc. Mandela inventa le slogan « One man, one vote » qui fut repris par l’Autorité Palestinienne.

Aujourd’hui, c’est le peuple palestinien qui se sent orphelin. Et de la rue jusqu’aux  leaders divisés de ce peuple, de la lutte pour sa reconnaissance, et l’obtention d’un pays sur leurs terres, – quelles que soient leurs oppositions stratégiques internes- les hommages ont jailli: Ainsi, celui qui est emprisonné, accusé d’avoir fomenté des meurtres d’israéliens, principal animateur de la seconde Intifada, celui qui représente la « nouvelle génération » d’une OLP bien mal en point face aux fondamentalistes du Hamas, Marwan Bargouthi, a écrit de sa prison:

« Vous avez dit un jour que votre liberté serait incomplète sans la liberté du peuple palestinien. De ma cellule, je vous dis que notre liberté sera possible parce que vous avez obtenu la vôtre. L’Apartheid ne l’a pas emporté en Afrique du Sud, il ne l’emportera pas en Palestine. Je salue en vous le combattant de la liberté, le négociateur et le faiseur de paix, le commandant militaire et l’inspirateur d’une résistance pacifique, le militant et l’infatigable homme d’état », dit Barghouti, qui bien qu’emprisonné apparait toujours en tête des sondages palestiniens pour prendre les rênes de l’autorité palestinienne.

Coté israélien, évidement, notamment à la tête du pays, la partition n’est pas la même… Pour éviter d’être présent aux obsèques de Nelson Mandela, où il avait d’abord annoncé sa présence,  le très guerrier Benjamin Netanyahu, ennemi de toujours d’Arafat, a finalement renoncé,  faisant valoir qu’affréter un avion, et organiser la sécurité de son déplacement… couterait trop cher! Une explication qui a laissé dubitatif nombre d’observateurs israéliens ayant épinglé le 1er ministre de l’état hébreu pour ses dépenses somptuaires quant à l’entretien de ses trois résidences: Un million de dollars dépensés l’an dernier, dont une note de 25000 USD rien que pour alimenter en eau la piscine d’une de ses résidences où il passe quelques week-ends… Mandela devra se contenter de messages de condoléances venus d’Israël. Un état qui a entretenu des relations plus qu’étroites, à l’heure de l’apartheid avec l’Afrique du Sud, commerciales, militaires et sécuritaires. Au point même à la fin des années 80 de se voir menacé par l’allié éternel, les USA, d’être privé d’une « dote financière » annuelle vitale pour Tel-Aviv. L’explication financière laisse aussi sceptique lorsque l’on sait que la France, où ne règne pas une prospérité évidente, a affrété plusieurs avions « Falcon »: Un pour le président Hollande, un pour l’ancien président Sarkozy, 2 autres pour des délégations…

Mahmoud Abbas, Président de l’Autorité Palestinienne, loin de « rouler sur l’or »  lui, sera présent au cérémonies d’hommages qui débutent ce matin pour saluer la mémoire, de celui, qui du début de son combat, jusqu’au bout de son parcours est toujours resté fidèle en cela à ses convictions: un compagnon de route de la cause palestinienne.

Quant au processus de paix israélo-palestinien, moribond, depuis la disparition de Rabin, il laissa Arafat seul sur un chemin de plus en plus miné. Avant que « l’homme au keffieh », débordé par les extrémistes du Hamas, relégué de nouveau au rang de chef terroriste, après avoir connu tous les honneurs, ne disparaisse à son tour. Le processus d’une paix introuvable, cherche aujourd’hui plus que jamais son Nelson Mandela, et son Frédéric de Klerk aussi, pour qu’enfin des hommes de bonne volonté, parviennent à dessiner l’esquisse d’un chemin qui ramènerait les peuples israéliens et palestiniens vers la « longue marche » de la paix. Une paix, juste pour tous.

Frédéric Helbert 


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À propos de l'auteur

Grand-reporter de guerre, (souvent), journaliste d'investigation, multi-médias, tous terrains, membre de l'association de la presse judiciaire, passionné par les phénomènes terroristes depuis le début de ma carrière à Europe11. Tropisme assumé pour le Moyen-Orient et la péninsule arabe-musulmane. Jamais rassasié d'infos,  accro à tous types d'enquêtes et reportages, j'aime explorer le dessous des cartes de dossiers sensibles. En toute liberté. Vos témoignages, vos infos, vos commentaires sont  bienvenus!

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