Frédéric HELBERT, journaliste d'investigation

Notre rôle n’est pas d’être pour ou contre, il est de porter la plume dans la plaie. (Albert Londres)


Les shebab à l’attaque au Kenya. Bain de sang et défi lancé au monde entier. (MAJ)

Publié le 22/09/2013 à 10h46 | , , , , , , , ,  | 2 commentaires

Quand les shebab passent toutes les « frontières »…

Les faits:  (ce qu’on en sait)

Samedi après midi c’est le calme et la tranquillité dans le quartier huppé de Wesgate à Nairobi. Au coeur du quartier, un « mall », grand centre de shopping à l’américaine, magasins, boutiques en tout genre, salles de cinéma, restaurants, rien ne manque… Le bâtiment est connu pour être fréquenté par les familles aisées de la ville, mais aussi tous les expatriés  de toute nationalité vivant au Kenya. Bâtiment à priori bien gardé par des vigiles surveillant des portiques automatiques détecteurs d’armes. Rien qui n’ait pu empêcher la tempête de se déclencher. En quelques instants plus d’une dizaine d’hommes armés surgissent et lacent une attaque foudroyante qui va surprendre tout le monde. On ne sait pas encore qui ils sont mais très vite on va le deviner. Il s’agit des redoutables « Shebab », des hommes du mouvement terroriste d’origine somalienne, qui considèrent le Kenya comme un ennemi régional, et maudissent tous les « infidèles » de la terre. Al Shebab est un mouvement allié, inféodé à al Qaida, et donc opposé a épousé son mépris de l’Occident, de ses valeurs, de ses modes de vies, auxquels il faut opposer le Jihad global pour parvenir à imposer la Charria (loi coranique), sans pitié, à toute la Ouma, l(a communauté des croyants) et réduire ceux qui s’y opposeraient à néant… «  le Jihad par l’épée » contre une cible soigneusement choisie, voila la mission  du commando, certainement trié sur le volet,  qui a réussi à s’approcher du centre sans rien montrer de leur arsenal ou intentions est composé au bas-mot d’une dizaine d’hommes hyper-armés, grenades, fusils d’assauts, pistolets-mitrailleurs, revolvers, gilets-pare balles, moyens de com (talkies-walkies, tel satellites), tenues de combat noires, cagoules, le tout soigneusement caché jusqu’au moment M sous des manteaux, des vêtements civils amples. Tout le matériel requis pour une opération d’autant plus « nécessaire » stratégiquement pour des Shebabs mis à mal dans leur fief somalien notamment par l’armée kenyane.  

C’est donc un samedi,  peu après midi, à l’heure d’affluence maximum, que le commando a choisi à dessein d’attaquer. Son but: faire un maximum de victimes. Lutter jusqu’à la mort s’il le faut en cas de riposte armée. les hommes savent qu’ils ne reviendront pas, ils s’en moquent.  Instantanément, ils lâchent quelques grenades, et quelques rafales tous azimuts qui font les premières victimes. La panique s’empare du centre commercial tout entier. Ceux qu’ils le peuvent se ruent vers les sorties où issues de secours. D’autres s’enferment dans des magazine ou dans les salles de cinéma du labyrinthique shopping-center se dressant sur plusieurs étages. Les assaillants laissent faire. L’un de leur chef déclare même alors devant une masse de victimes prises au piège, « Nous sommes là pour tuer des non-musulmans. Et défendre les musulmans Ceux qui sont musulmans peuvent partir ». Argument absurde, car comment contrôler dans cette situation qui est musulman, qui ne l’est pas… Imaginer que les terroristes auraient pris le temps de faire réciter des sourates du Coran à des centaines d’otages potentiels pour vérifier qui est musulman ou pas est absurde. Mais au delà de la thématique « Nous sommes là pour défendre les musulmans contre les chrétiens » qui fait long feu, à travers cette déclaration, le but de l’attaque est dévoilé, la couleur est affichée. C’est une entreprise terroriste majeure qui est lancée. Certains clients se lèvent alors et se dépêchent de fuir après avoir montré leur carte d’identité, ou lancé une sourate. Mais Très vite la fusillade et la chasse reprennent. « Comme du tir au pigeon dira un témoin. Les terroristes raflaient ou tiraient volontairement  dans la tête. Il leur fallait tuer et tuer encore. Un cauchemar ».

Très vite les forces de sécurité, et les secours se ruent sur les lieux. Les secours sont vite débordés tant il y a de blessés, et de gens agonisant sur le bitume. Quand aux forces de sécurité, c’est l’empilement: Police, forces dites spéciales, armée, sociétés de sécurité privés, qui tentent de comprendre et d’établir une stratégie, sans y parvenir: Que faire contre des hommes chargés de tuer, tuer encore, et qui ne craignent pas a mort? Qui plus est, personne ne s’impose vraiment. Les Kenyans n’ont pas d’unité d’élite spécialisée comme le GIGN, le GSG9 allemand, les SWATT US, les SAS britanniques…  A l’intérieur le carnage continue. Quelques gardes privés armés de simples pistolets font ce qu’ils peuvent: Pas grand-chose. L’heure tourne. Les autorités comprennent qu’il n’y a pas de négociation possible. Elles envoient des « squats », des équipes qui pénètrent prudemment dans le centre pour tenter de récupérer le terrain, d’encercler les shebabs, de faire sortir ceux qui ont échappé au pire, indemnes, blessés, ou d’évacuer les  morts. « Dans certains endroits des cadavres jonchent le sol. Plusieurs soldats ou policiers sont blessés par les terroristes qui ont pris position. Très vite le bilan officiel monte. 15, 20, 30, près de 50 morts samedi soir et des hôpitaux débordés. Dans les rangs des victimes, des kenyans bien sur, mais aussi des français (deux femmes), exécutées à bout portant sur le parking du Mall, des canadiens, des américains, des britanniques, d’autres occidentaux peut-être, des indiens aussi. Les vérifications sont en cours. Et puis il y a un nombre indéterminé d’otages, sans doute des dizaines, qui interdisent un assaut de masse.

La revendication d’al Shebab

Pour lui donner un maximum d’écho, à l’échelle mondiale, les shebab utilisent Twitter pour revendiquer l’action. « Vous vous souvenez de Bombay dit un message (Bombay, attaque prothéiforme, avec la prise d’un hôtel en Inde, par un commando d’islamistes pakistanais lié à al Qaida. Pendant 3 jours, les terroristes avaient tenu la dragée haute aux forces de sécurité, retranchés dans le célèbre hôtel « Taj Mahal »), Vous allez connaitre un nouveau Bombay et cela va être le calvaire pour vous ». Dans un autre message, Al Shebab, affirme avoir tué une centaine « d’infidèles », notamment en représailles aux actions de l’armée kenyane. »Ce que les kenyans voient c’est la justice punitive contre les crimes commis par leurs soldats. pr la terre, par les airs, par la mer, les forces kenyanes ont  envahi notre patrie (NDRL: la Somalie), tués des centaines de musulmans, et déplacé des milliers d’autres« . Une revendication régionale liée aux interventions régulières depuis deux ans de l’armée Kenyane. Une armée qui a notamment pris le fief « économique » des shebab dans le sud de la Somalie, le port de Kismao. Essayant par la même de protéger d’une éventuelle contagion islamiste la stabilité du Kenya frontalier. Comme l’avaient fait fin 2006 les éthiopiens, menant une offensive alors victorieuse pour repousser les shebabs qui avaient pris Mogadiscio les avaient repoussé  avec succès vers leur sanctuaire du Sud, tout près du Kenya.

Le Kenya, ennemi juré des islamistes

A l’époque, avec le caméraman Jean-Marie Lemaire, lorsque la puissante armée d’Ethiopie avait lancé son offensive, l’aéroport de Mogadiscio étant fermé, nous avions pour France24 tenté pendant une dizaine de jours de passer la frontière à bord d’un 4X4 à partir du Kenya. Nous perdant dans une brousse infernale à sillonner en pleine saison des pluies, nous avions décidé de tenter le diable et de rentrer par le Sud de Somalie au Kenya. Autant dire de nous jeter dans la « gueule du loup ». Puisque les islamistes défaits refluaient vers le Sud. La première chose que nous avions constaté est la porosité totale des frontières entre les deux pays autorisant tout type d’opérations. En rase campagne Il suffisait d’avancer à travers un chemin où un autre, sur une ligne frontière immense, désertique et invisible, totalement hors-contrôle, pour passer d’un territoire à l’autre. La seconde chose est que très vite, en demandant notre chemin nous nous étions retrouvés apparemment dans un village paisible. Mais en un instant, nous nous étions retrouvés face à une centaine d’hommes, ayant soudain fait surgir leurs kalashnikov. Nous étions face au shebab en pleine déroute. Chacun de nous se retrouva un canon sur le front sous une case. Les shebab étaient lancés dans un vif débat, où ils semblaient s’engueuler salement. Seul notre chauffeur, qui devenait blanc à vue d’oeil,  comprenait: Il y avait 3 options: Nous tuer, nous brûler, faire disparaitre toute trace de nous et s’emparer de tout ce que nous avions (4X4, essence, dollars, vivres…) , où  nous prendre en otages, où bien nous laisser repartir en nous ramenant manu-militari jusqu’à la frontière. Après des palabres qui ont duré une éternité, un chef s’est imposé et a décidé de nous relâcher,persuadant les autres que notre disparition risquait de leur atirer plus d’ennuis que de leur rapporter un maigre butin. Ce qui fut fait  en nous prévenant: il n’y aura pas de sonde chance. Nous nous sommes alors frayés un chemin au milieu d’une foule hostile qui frappait le 4X4 à coup de kalashnikov ou de bâtons. La violence et la rage, la haine envers l’occidental, la détestation de qu’il peut représenter qu’il soit journaliste où pas, était plus que palpable.

Cette porosité totale des frontières que nous avions testé, en même temps que la dangerosité des shebab sont aujourd’hui un des problèmes majeurs du Kenya. Car la Somalie est redevenue un territoire en guerre permanente  où les shebab sont incontournables. Le Kenya peut donc à la fois leur servir de base-arrière et de cible puisque l’armé kenyane occupe des positions en Somalie. Le Kenya, qui accueille des somaliens dans des camps de réfugiés, et qui sait que certains dans un pays à majorité chrétienne, allié de l’Occident « impie », des « infidèles et des mécréants », ont versé dans l’islamisme radical, pouvait s’attendre à une attaque de ce type, attaque d’envergure visant une cible symbolique.

La Cible: régionale et internationale. Un symbole de la détestation des islamistes radicaux.

Et ce centre commercial luxueux, fréquenté autant par les kenyans aisés, que par les expatriés ou diplomates étrangers, ce centre, temple du consumérisme, véhiculant toutes les « valeurs », où modes de vie, honnis par les islamistes était une cible idéale pour une attaque du type « Bombay ». A plusieurs reprises des experts de sociétés de sécurité managées par des occidentaux ont alerté. Mais à moins de transformer le » mall » en bunker, il semblait difficile de le protéger complètement d’une attaque telle qu’elle a  été lancée hier. La cible paraissait idéale pour un groupe déterminé, prêt à tout, et qui en lançant leur offensive ont frappé à la fois l’ennemi régional au coeur , mais aussi la communauté internationale à travers tous les touristes ou expatriés venus du Monde entier touchés. « En cela dit un diplomate français, les shebab ont parfaitement réussi leur sanglante affaire ». La cible a été atteinte, elle reste encore sous leur contrôle à l’heure ou est écrite cette enquête), et l’écho de l’attaque retentit dans le monde entier depuis plus de 3 jours! Or la dimension médiatique d’une telle action est fondamentale pour les islamistes qui maitrisent tous les outils de la communication instantanée à l’échelle mondiale, notamment grâce à Twitter. Une donne qui ne peut que « faire la joie » des alliés des shebab: les hommes d’Al Qaida, auxquels le mouvement al Shebab a fait allégeance. Une alliance stratégique contre les « infidèles » dont Ayman Al Zawhari, le successeur de ben Laden s’était félicité lui-même.

Le Kenya déjà plusieurs fois cible d’actions majeures

L’an dernier il avait annoncé lui-même ce ralliement: « Je vais annoncer une bonne nouvelle à la nation islamique, qui ne va pas faire plaisir aux « Croisés », le mouvement al shebab en Somalie a rejoint Al Qaida« . De son coté le chef de l’immense milice avait alors déclaré:  » Au nom des mes frères Moudjahidne, je promets l’obéissance de nos chefs et soldats.  Nous nous tiendrons à vos cotés! Guides-nous (adresse lancée à Ayman al -Zawhari)  dans les pas tracés par le martyr ben Laden ».  « Dès lors dit un politique kenyan, il fallait s’attendre à une attaque de cette ampleur ». Car le pays est traversé par des fractures entre chrétiens et musulmans. Et  le Kenya a déjà été frappé à plusieurs reprises. En 1998, il était le théâtre d’un des premiers coups d’éclats d’al Qaida: Le terrible attentat-suicide contre l’ambassade des USA à Nairobi (200 morts, essentiellement kenyans). Second coup de semonce en 2002: le double-attentat visant au Kenya la perle touristique de Mombasa. L’hôtel « beach-Paradise », essentiellement fréquenté par des touristes israéliens visé par une voiture piégée. (9 morts: 3 israéliens dont deux enfants,  les 3 hommes à bord de la voiture, et 3 danseurs folkloriques, tous kenyans). Quelques minutes auparavant, toujours à Mombasa, un charter d’une compagnie israélienne avait échappé de justesse, alors qu’il décollait au tir de deux missiles sol-air tirés d’un 4X4. l’appareil comptait 261 passagers. L’hôtel lui venait de recevoir un groupe de 140 vacanciers. Un carnage avait été évité de justesse. Dans le reportage alors réalisé pour l’émission « C dans l’air »,  j’avais alors discerné ces fractures internes de la société Kenyane. Dans certains quartiers, on voyait des tags sur des murs lépreux ou étaient écrits: « Longue vie à Oussama Ben Laden ». Et face caméra des kenyans vivant dans la misère avaient affirmé que c’était leur « idole ». Mais au pays ou le tourisme est une manne vitale, le pire ayant alors été évité, La loi du silence s’était refermé sur le risque terroriste. A partir de maintenant ce ne sera plus possible…

Conséquences?

En menant leur frappe, les shebab, auxquels se sont peut-être associés des combattants arabes, voire des jihadistes internationaux venus de pays occidentaux,  ont lancé une offensive imparable. En continuant à résister aux autorités et aux forces de sécurité de tout un pays, un petit commando ultra-déterminé a démontré que le pays, vers lequel se tournent les caméras du monde entier, est « coeur de cible », en raison de son positionnement géographique, de ses choix diplomatiques, et de divisons internes qui peuvent « faire le lit » du terrorisme international. Le commando de Shebab, avec ses otages défie toujours le pouvoir central. Démontre que Le terrorisme islamique a de « beaux jours » devant lui. Et qu’il peut défier n’importe qui, n’importe où, n’importe comment. Si le Kenya est touché en son coeur, toutes les capitales occidentales se savent concernées et savent qu’elles ont aussi été indirectement visées. L’attaque d’hier, aura, tant dans une zone d’instabilité totale autour de la Somalie, qu’en Europe ou aux USA, des conséquences et des suites, qui pour l’heure, sont encore incalculables. Seule certitude: La guerre contre le terrorisme n’est jamais gagnée, n’en déplaise au Président de la République, François Hollande qui il y a quelques jours criait victoire au Mali. et les shebab ont -quoiqu’il advienne désormais, quelque soit l’issue incertaine de l’attaque, qui ne pourra se terminer que dans le sang- remporté en la matière, un succès aussi éclatant que sanglant,  qui ne peut que galvaniser les partisans du « Jihad » total, sans aucune merci.

Frédéric Helbert.


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À propos de l'auteur

Grand-reporter de guerre, (souvent), journaliste d'investigation, multi-médias, tous terrains, membre de l'association de la presse judiciaire, passionné par les phénomènes terroristes depuis le début de ma carrière à Europe11. Tropisme assumé pour le Moyen-Orient et la péninsule arabe-musulmane. Jamais rassasié d'infos,  accro à tous types d'enquêtes et reportages, j'aime explorer le dessous des cartes de dossiers sensibles. En toute liberté. Vos témoignages, vos infos, vos commentaires sont  bienvenus!

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