Frédéric HELBERT, journaliste d'investigation

Notre rôle n’est pas d’être pour ou contre, il est de porter la plume dans la plaie. (Albert Londres)


Terrorisme: France, Liban. Llibération prochaine du terroriste Georges Ibrahim Abdallah. Long Story

Publié le 11/01/2013 à 00h18 | , , , , , , ,  | Écrire un commentaire

Georges Ibrahim Abdallah ou trente ans de roman noir du terrorisme

Full story, enquête, révélations

Tous les experts de l’anti-terrorisme connaissent son nom, et son « palmarès ». Toutes les victimes, ou celles et ceux qui ont vécu la période noire des attentats de 1986 savent aussi qui il est. A travers l’itinéraire de ce libanais, à la fois chrétien, communiste, pro-palestinien et violemment anti-américian, c’est toute une période du terrorisme ayant frappé en France, avant l’arrivé du djihadisme de Ben Laden, et des attentats de masse qui revient en mémoire. Mais ce sont aussi des constantes qui demeurent à l’évocation de sa longue histoire. Le terrorisme d’état utilisant des masques, le « jeu » de la Syrie, celui de l’Iran, l’anti-américanisme viscéral, la raison d’état, la Justice qui tend à plier devant la menace, les manips en tous genres, le pouvoir qui n’hésite pas à broyer des individus,  et les affaires d’otages….

Abdallah c’est tout cela à la fois… Un roman vrai, dur, cruel, sanguinaire, parfois parsemé d’anecdotes qui parviennent à faire sourire. S’il revient à la « une » aujourd’hui c’est qu’après avoir effectué 28 années de prison, condamné pour sa participation à l’assassinat à Paris d’un diplomate américain, et d’un autre israélien, Georges Ibrahim Abdallah, est devenu libérable sur décision des autorités judiciaires françaises, et sous réserve qu’il soit expulsé avant le 14 janvier. Il le sera sans doute vers son pays d’origine, le Liban, ou vivent sa famille et ses frères qui furent un temps soupçonnés d’être derrière la vague d’attentats commis à Paris jusqu’au carnage de la Rue de Rennes en 1986. Carnage pour lequel certaines sources au Liban continuent à penser qu’ils y ont été mêlé, même si depuis le réseau Ali Fouad Saleh agissant pour le compte de l’Iran a été démantelé, même si l’exceptionnelle enquête menée par le regretté Juge Gilles Boulouque, un homme et un magistrat d’exception, qui mena jusqu’au bout les investigations, malgré les embuches, les pièges, les coups bas, identifiant chacun des poseurs de bombe qui venaient spécifiquement du Liban pour accomplir leurs missions de mort, mit fin à ses jours dans des circonstances terribles.

Des demandes de remise en liberté, Georges Ibrahim Abdallah en a déposé sept avant que la huitième ne débouche sur une réponse positive des autorités judiciaires françaises. Le terroriste, dont les plus anciens se souviennent qu’il avait lancé dans un français plus qu’approximatif aux magistrats de la Cour d’assises spéciales un tonitruant: « Je vous vomite! » (sic).

« Il était temps qu’il sorte me confie Alain Marsaud (à l’époque premier patron du SCLAT- service central de lutte anti-terroriste, aujourd’hui députés des français de l’étranger, chef d’une mission parlementaire sur la Syrie et peu enclin à l’indulgence avec les terroristes). Tous les autres responsables des actions pour lesquelles il a été jugé sont dehors. Abdallah a 61 ans aujourd’hui et n’aspire plus qu’à une fin de vie tranquille, hors de tout champ politique. La semaine dernière, je parlais encore de son cas avec Mr Mikati, le 1er ministre du Liban. Le temps a passé. Justice est passée. Et cette fois la France est passée au dessus de l’opposition systématique des américains« .

Depuis 1999, remplissant toutes les conditions pour être libéré, considéré comme un détenu modèle, Georges Ibrahim Abdallah n’a cessé de déposer des demandes. A chaque fois il s’est heurté à chaque fois au mur des membres de la famille du diplomate américain Charles Ray, de leur avocat Maitre Kiejman, et aux pressions discrètes mais bien réelles du Département d’Etat américain. Libérer Abdallah C’était un cassus-belli… Outre-atlantique aussi les mentalités ont évolué.

Qui est Georges Ibrahim Abdallah?

Un terroriste ancienne formule dit un grand flic qui à l’époque a eu affaire à lui. Né en Palestine, réfugié au Liban, après avoir fait ses classes au sein du parti national socialiste syrien, parti laïque libanais, (PNSPS) qui prône la refondation d’une grande Syrie, il fonde son propre groupe  » la fraction populaire armée libanaise » (FARL). Il est alors aussi très proche du redoutable et redouté Georges Habbache, boss du FPLP, une des organisations dissidentes de l’OLP, qui prône une lutte totale, sans merci ni compromis contre Israël. Abdallah, c’est un mélange unique de convictions contradictoires, mais qu’il assume. Il est chrétien, communiste, et devient un activiste forcené de la cause palestinienne.

La France comme terrain de « combats »…

Au début des années 80, La France, de part ses positions et son action diplomatiques, notamment au Liban, alors repaire d’Arafat et d’autres organisations palestiniennes, se retrouve « coeur de cible » et terre d’actions armées pour différentes factions, comme le groupe Abou Nidal, Les terroristes arméniens de l’ASALA entrainés à Beyrouth, proches des palestiniens,  et Georges Ibrahim Abdallah qui va installer clandestinement son groupe à Lyon. Ce sont les années des attentats Copernic, ou encore contre le restaurant Goldenberg, mais aussi celle d’assassinats ciblés: Ceux de l’attaché militaire américain Charles Ray et du diplomate israélien Yacov Barsimentov. Les FARL d’Abdallah revendiquent ces deux assassinats, avec le soutien des euro-terroristes d’Action Directe.

Deux ans plus tard, en 1984, la DST alors dirigée par Yves Bonnet met la main sur Georges Ibrahim Abdallah. Au début les charges sont minces. Il n’est inculpé que de faux et usages de faux, détenant un « vrai-faux » passeport diplomatique algérien.

L’heure des premières « manips » politiques. le dessous des cartes…

Le clan Abdallah refusant d’abandonner son chef charismatique, décide alors d’enlever à Tripoli au Liban, Gilles Sydney Peyrolles, fils du célèbre écrivain Gilles Peyrault. Yves Bonnet patron de la DST est chargé de négocier un échange, via les autorités algériennes, et le général Smaïn Lamari (le même que celui de l’affaire des Moines de Thibirine). Les relations entre les deux hommes sont de confiance. Le « deal » est finalisé. Abdallah sera jugé pour usage de faux-papiers et relâché après un mois ou deux de détention. Des agents de la DST l’informent en personne. La promesse est transmise aux FARL qui libèrent leur otage. Mais c’est là qu’intervient le « HIC ». Les hommes de la DST, poursuivant leur enquête découvrent une cache des FARL à Paris. Le jackpot: La cache contient de l’explosif Semtex, des RPG, des PM Skorpio, et des empreintes de Georges Ibrahim Abdallah un peu partout, et notamment sur l’arme qui a servi à tuer l’attaché militaire américain et le diplomate israélien. « A partir de là, on était sur de nous dit un ancien de la ST, Abdallah était « fait aux pattes », accroché. Son implication directe ne faisait plus aucun doute »… Les policiers rendent compte. Catastrophe politique alors que le « deal » de l’échange est verrouillé. Le Président François Mitterrand ordonne en personne que nul ne fasse état de cette découverte capitale. Les enquêteurs l’ont très « mauvaise », font mine de plier… Mais une fuite, un tuyau arrive  « opportunément » à la Rédaction d’Europe1!… La story fait la une. Plus question de laisser Abdallah filer libre… Il est devenu l’un des assassins présumés du lieutenant-colonnel Ray et du diplomate israélien Barsimentov. Le pouvoir politique fulmine mais ne peut rien.

Attentats de 1986: Mélange des genres. la « manip » du cas Abdallah par les poseurs de bombes. Le Juge Boulouque manipulé par les autorités politiques françaises.

Fin 85, deux attentats dans les grands magasins vont donner le « là » d’une campagne d’attentats en 86 comme jamais la France n’en a connu. En 85, après le premier attentat, dans le « bleu » total, les politiques tenteront d’évoquer la piste de déséquilibrés. Mais lorsqu’en 86, alors même que Jacques Chirac vient d’être nommé 1er ministre une nouvelle bombe explose sur les champs-Elysées dans la galerie du Claridge, puis ce sera la libraire Gibert Jeune, la FNAC sport des Halles, la galerie Point-show, la cafétéria casino de la défense, Le bureau de poste de l’Hôtel de Ville, le Pub Renault encore sur les champs, l’attentat de la Rue de Rennes chez Tati… Une série infernale  revendiquée par un mystérieux CSPPA  (comité de solidarité avec les prisonniers politiques arabes et du Proche-Orient) qui réclame notamment la libération de Georges Ibrahim Abdallah. La piste d’actions menées par ses frères sera explorée par le procureur Marsaud devenu patron du nouveau service central de lutte anti-terrroriste, et le Juge Boulouque, remarquable magistrat-instructeur, pris dans la tourmente car au même moment les otages du Liban lancent des appels désespérés à la télévision, et de troubles jeux politico-diplomatiques se tramant dans son dos.

En fait le CSPPA est un « faux-nez ». Derrière lequel se cache l’Iran et son bras armé le Hezbollah. Les enjeux n’ont rien à voir avec la libération d’Abdallah. L’Iran veut celle d’Anis Nakkache, (l’homme qui obéissant à une fatwa de l’Ayatollah Khomeny a tenté une première fois d’assassiner le principal opposant au régime des mollahs, Chapour Bakthiar), l’arrêt de livraison d’armes à l’Irak (en guerre alors contre l’Iran) et le régalement du contentieux financier Eurodif… Bref c’est du terrorisme d’état. et le combat oppose désormais frontalement deux pays: la France à l’Iran. Tous les coups -on est alors en période de cohabitation- sont permis. Et tous les coups fourrés, toutes les manips, dont celle de l’affaire Gordji seront utilisés dans une guerre sous-terraine sans merçi. Une guerre dont fera les frais le juge Boulouque, qui ira jusqu’au bout de son enquête, sans rien céder de ses prérogatives.  » Il s’est fait enfumé par les politiques se rappelle un de ses confrères de l’époque. Il a été la victime publique de manipulations orchestrées par le tandem Pasqua/Pandraud, notamment en ce qui concerne le dossier Gordj ». Pour tenter d’y voir clair, la Justice tentera même un coup de poker « limite »: Abdallah est sorti de sa cellule par des hommes vêtus et encagoulés de noir, qui lui infligeront sur ordre des magistrats une nouvelle garde à vue. Le terroriste croit  sa dernière heure arrivée quand il est extrait de sa cellule… Mais l’audition faite dans les formes n’apportera rien de nouveau..  Lorsque le Juge Boulouque comprendra tout, lorsqu’il démantèlera le réseau logistique Ali Fouad Salah des poseurs de bombes transportant de l’explosif C4, lorsqu’il cassera la piste des frères Abdallah, lorsqu’il identifiera les poseurs de bombes venus du Liban, et les donneurs d’ordre en Iran, il est déjà trop tard. Son honneur a été sali, la presse l’a brocardé, sa hiérarchie a laissé courir une plainte d’Ali Fouad Saleh chef du réseau parisien, pour violation du secret de l’instruction. D’une année à l’autre il est devenu soudain mal noté. Le grade de premier juge d’instruction, cent fois mérité, lui échappe. C’en est trop pour un homme d’une droiture impeccable, mais  » trop sensible, au cuir trop tendre  » dit un de ses proches. Gilles Boulouque se suicidera chez lui avec son arme de service. Une mort qui bouleversera la France, et la perte d’un type épatant devenu au fil du temps un ami…

Et Georges Ibrahim Abdallah dans tout cela?

Il est jugé en 1987 par une cour d’assises spéciale composée uniquement de magistrats professionnels. A l’heure du procès, rien n’est encore clair, et l’avocat de Georges Ibrahim Abdallah, le sulfureux Jacques Vergès, menace à demi-mots. Si la Cour condamne lourdement d’autres bombes risquent d’exploser dans Paris… S’en suit à la fin du procès un réquisitoire surréaliste ou l’avocat général demande à la Cour de tenir compte du « contexte ». Et de ne pas avoir la main trop lourde. Voire de l’avoir très légère. Il fait plus que demander, il implore presque. Le Procureur a reçu des consignes pour de telles réquisitions. Mais elles ne seront pas suivies par les magistrats qui se « révoltent » et estiment que Justice doit passer pour les deux assassinats imputés au terroriste libanais. Georges Ibrahim Abdallah est condamné à la peine maximale: Perpétuité.

La découverte de la vérité, son absence d’implication ou de celle de ses proches dans la série d’attentats de 86 ne changera rien aux suites de son traitement carcéral. Jusqu’à aujourd’hui. Il restera pour sa part un détenu modèle. Lors d’une mutinerie à la centrale de Châteauroux, qui nécessitera l’intervention du GIGN, un détenu ouvre sa cellule. Dans le tintamarre ambiant il demande: « Qu’est ce qui se passe? » – Viens! lui dit celui qui a déverrouillé sa cellule, on se mutine! Georges Ibrahim Abdallah fera alors demi-tour pour retourner lire tranquillement non sans avoir lâché: « Ca ne m’intéresse pas! » Puis il sera transféré par hélicoptère vers une autre prison.

Une libération négociée par le 1er ministre libanais

Les Etats-Unis ayant fait pression pour que soient rejetées systématiquement toutes ses demandes de remises en liberté, en théorie recevables, Abdallah finira par bénéficier de comités de soutiens! Notamment animés par des élus communistes! Et puis, l’affaire tombe aux oubliettes. Le terrorisme change de visage. C’est l’arrivée du Jihad mondialisé, de Ben Laden, d’al Qaida, des attentats de masse… Jusqu’à la décision d’enfin rendre libérable l’ex-terroriste sexagénaire.

Aujourd’hui, une page va vraisemblablement se tourner, preuve que le Politique entretient toujours des rapports « incestueux » avec la Justice. La libération prochaine de Georges Ibrahim Abdallah était une revendication importante du « très présentable » Premier Ministre libanais Najib Mikati venu rencontrer François Hollande en novembre dernier après que le chef de l’Etat ait lui même effectué une courte visite au Liban, ou il avait réaffirmé son soutien au gouvernement libanais (gouvernement sous domination Hezbollah) face à la menace d’implosion du pays voisin de la Syrie.

La libération de l’ancien chef des FARL est assortie d’une expulsion immédiate devant être prononcée par le Ministre de l’Intérieur, Manuel Valls. « Tout est dans les tuyaux et devrait bien se passer » dit un proche à la fois du Ministre et du président. Nul doute que Georges Ibrahim Abdallah sera accueilli comme un héros au Liban, parmi les siens, et pourtour ceux qui considèrent que le « combat » qui a amené Abdallah en prison continue…

Frédéric Helbert


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À propos de l'auteur

Grand-reporter de guerre, (souvent), journaliste d'investigation, multi-médias, tous terrains, membre de l'association de la presse judiciaire, passionné par les phénomènes terroristes depuis le début de ma carrière à Europe11. Tropisme assumé pour le Moyen-Orient et la péninsule arabe-musulmane. Jamais rassasié d'infos,  accro à tous types d'enquêtes et reportages, j'aime explorer le dessous des cartes de dossiers sensibles. En toute liberté. Vos témoignages, vos infos, vos commentaires sont  bienvenus!

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