Frédéric HELBERT, journaliste d'investigation

Notre rôle n’est pas d’être pour ou contre, il est de porter la plume dans la plaie. (Albert Londres)


Algérie: François Hollande sur le dossier explosif des moines de Tibhirine?…. Service minimum!

Publié le 20/12/2012 à 02h21 | , , , , , , , ,  | 1 commentaire

Les contrats de business plutôt que la Justice des hommes pour des hommes de Dieu, les moines de Tibhirine sauvagement assassinés?

Entre les mots de la contrition, ceux destinés à apaiser les blessures du passé colonial, les louvoiements sur le problème des harkis, des droits de l’homme et le Printemps Arabe, entre cet exercice de voltige politico-diplomatique et les contacts noués par la kyrielle de chefs d’entreprises emmenés dans l’avion présidentiel à Alger, il est un dossier sur lequel beaucoup dit, soudainement avant, peu finalement sur place:. Celui de l’assassinat des moines de Thibirine. Encore une bombe en puissance… a manier avec précaution…

Chronologie

La communauté des moines inséparables jusque dans la mort. Photo réalisée en collaboration avec Pascal Rostaing (Sphynx)

Cette affaire qui bouleversa la France à l’époque, la bouleversa une seconde fois lors dela sortie du film « des homme et des Dieux »  est un interminable feuilleton politico-judiciaire Il débute en 1996 avec la mise à mort de ces sept hommes de paix en terre de guerre civile, mais ce n’est qu’en 2003 (!) lorsque plusieurs familles décident de poser plainte qu’il prend forme. Entre-temps, certains n’ont pas bougé estimant que les moines, hommes de Dieu appartenaient à la Justice de Dieu, et qu’au fond ils avaient choisi leur fin, d’autres ont cédé, soumis à des pressions internes ou externes… Quant à l’état français, encore tétanisé par les attentats de 1995, suivant la prise d’otages de l’airbus résolue en force par le GIGN, il n’a pas bougé, ni voulu que l’on bouge et l’on comprend maintenant pourquoi…. Irène Stoller, qui dirigeait alors la lutte anti-terrroriste se souvient de sa demande d’ouverture d’information judiciaire restée vaine. Une première en France!

Puis il y eu l’ère Bruguière. la piste unique des islamistes. Quelques auditions de routine en France. Une mission en Algérie, mais un matériel non exploité, et un dossier incroyable, dormant dans un coffre.

2007: Tout reprend à zéro, lorsque celui que l’on surnommait  « l’Amiral », le « Shérif », cède son fauteuil à Marc Trévidic, magistrat brillant, ayant commencé sa carrière comme une flèche au parquet-antiterroriste. 10 ans plus tard, après avoir par loyauté  et éthique personnelle, refusé le poste de celui dont le pouvoir de l’époque voulait la tête, et été muté pour désobéissance, il revient, prend la place de Bruguière qui vise une carrière politique, récupère notamment  tous les dossiers d’une « matière » en laquelle il excelle: la lutte contre le terrorisme islamiste. Marc Trévidic, magistrat intraitable, d’une rigueur exceptionnelle, refusant sans cesse de plier, va devenir de renoncer, d’oublier les dossiers « sensibles » engageant la raison d’état. Les raisons de deux états devrait-on dire. Celle de l’Algérie du temps de la junte, des éradicateurs, des généraux soupçonnés maintenant d’avoir trempé dans l’assassinat odieux. Et celle de la France, inerte et silencieuse, de ses ministres qui ont su et caché beaucoup de choses. La France du mensonge, du document qu’on oublie, du rapport que l’on cache, de l’officiel convoqué chez le juge qui ne se souvient plus de rien, se contredit, ou affirme des énormités parfaitement démenties par l’instruction. Le dossier fourmille de ces PV d’audition suintant le mensonge, de ces PV où menant son audition comme un partition, le juge amène des hommes tel que l’ambassadeur de l’époque, à dire tout et n’importe quoi, puis son contraire…

« Toute vérité n’est pas bonne à dire » a déclaré un jour le président Bouteflika évoquant le dossier des moines de Tibhirine. Là n’est pas l’avis du juge Trévidic, ni celui de l’avocat, haute conscience du barreau, homme d’une droiture sans faille, Patrick Baudoin, ancien président de la FIDH, Fédération internationale des droits de l’homme, qui représentent les familles constitués parties civiles, et le père Armand Veilleux, moine-soldat de la confrérie des trappistes à laquelle appartenaient les victimes, qui fut le premier à flairer le soupçon de l’embrouille inouïe et qui déposa le premier une plainte en 2003! Soit 7 ans après l’assassinat des hommes de Tibhirine. Le père Veilleux qui répète inlassablement son crédo: « Je veux bien pardonner, mais je veux savoir à qui je dois pardonner »

Maitre Baudoin lui, toujours à l’affut, a saisi l’occasion de la visite d’état en Algérie de françois Hollande pour interpeller sur ce dossier qui lui tient tant à coeur le chef de l’état, avant son départ, en lui adressant une lettre ouverte publiée dans le journal « la croix ». La chaine « France24 » a cru comprendre dans la foulée que l’Algérie acceptait que le Juge chargé du dossier se rende en Algérie. Erreur d’interprétation… (cf enquête précédente sur le blog).

J’y reviendrai en détail dans cette enquête, mais ce qui a mené à la situation actuelle est un fait indéniable:  Les investigations menées contre vents et marées par  Marc Trévidic l’ont amené à se poser officiellement la question d’une éventuelle implication des services algériens dans l’enlèvement et la mise à mort des moines. A s’interroger sur le rôle trouble joué par la France occultant des éléments décisifs figurant dans des notes secrètes de la DGSE, dont certaines ont été déclassifiées, et sont cotées au dossier désormais. Le Juge cherche toujours. Par qui les moines ont été enlevés, tués? Les islamistes sont-ils les seuls responsables, ou bien ont-ils été les jouets où les complices d’une manipulation d’état? Les moines ont-ils été décapités post-mortem pour monter un scénario macabre? A toutes ces questions que posent le dossier, le magistrat a estimé que la réponse ou une partie de la réponse se trouvait peut-être sous la terre de Tibhirine, là ou ont été enterrées – l’un des mystères de l’affaire- les seules têtes des moines officiellement retrouvées…

Il y a un an le juge, ainsi que je le révélais dans l’hebdo « Marianne » adressait une commission rogatoire internationale aux autorités algériennes. ou il demandait rien moins que de pouvoir se rendre en Algérie avec une équipe d’experts, exhumer les dépouilles des moines, faire un test ADN aux fins d’identification, puis après avoir procédé à des examens et prélèvements destinés à établir si possible les causes exactes de la mort des moines, refermer les cercueils et les remettre aussitôt en terre. Un an que ce document, un vrai brulot diplomatique,  où sont réclamées aussi au passage une bonne vingtaine d’auditions, a été envoyé à Alger, sans qu’aucune réponse ne lui soit apportée. « Il est à l’étude dit-on à Alger« . « Une longue étude pour un document si clair  » ironise un confrère de Marc Trévidic.

Pour l’Algérie comme pour la France, le juge a ouvert une bien gênante boite aux secrets d’états.

– en 2009, c’est l’audition de l’ancien attaché de défense en Algérie, un ex de la DGSE, le général Buchwalter qui lors d’une audition va permettre au juge de relancer l’enquête: Il finit par lâcher qu’un officier algérien, frère d’un pilote de l’armée de l’air, lui a confessé à l’époque que les moines avaient été victimes d’une opération de mitraillage du bivouac des islamistes les détenant dans le désert. Le Juge ne prend pas tout pour argent comptant, mais la machine est alors relancée…

– en 2010, A deux reprises Marc Trévidic s’en est allé entendre aux Pays-Bas le déserteur Abbekader Thiga, ancien officier du CTRI de Blida (centre de Renseignement et d’Investigation), un centre théatre de sombres manipulations ou les islamistes et les généraux avaient leurs entrées!  Et ou les moines auraient passé une nuit après leur enlèvement, affirme Thiga dans des dépositions actées au dossier:  » Dans l’une de ses auditions (23 pages au total)  Thiga dit: « les moines dérangeaient. ils accueillaient  et soignaient aussi bien la population que les groupes islamiques. et les islamistes avaient décrété l’Aman pour les moines, ce qui signifie en language djihadique: Vous êtes en sécurité« . Pour Thiga, les religieux ont été enlevé par un groupe baptisé « la phalange verte« . L’exécutant? un certain Mouloud Azzout, bras-droit de l’émir du GIA, Zitouni, mais manipulé pour l’occasion  par les services de renseignements algériens.

L’hypothèse de la « manip » a été clairement évoqué par un expert incontesté du genre… Le général Rondot, envoyé par la DST en Algérie, parce qu’il entretenait des relations de confiances avec celui qui était alors le chef de la direction centrale du renseignement algérien, et le roi des manipulations et infiltrations en tout genre: le général Smaïn Lamari. Peu habitué aux confidences, dans une audition datée du 27 septembre 2010, le général évoque devant le juge Trévidic: « Une relative tolérance de la part de services algériens pour Zitouni » s’inscrivant « dans le cadre d’une stratégie visant à infiltrer, pénétrer, intoxiquer, manipuler » les GIA pour provoquer leur propre destruction« . Rondot évoquera s’exprimera aussi sur les inquiétudes qu’avaient provoqué chez lui la réception d’un fax du général Lamari faisant état d’une probable localisation des otages. Mais affirmera n’avoir jamais reçu de réponse à la demande urgente envoyée en retour pour savoir quelle « utilisation opérationnelle » allait être faite de cette info. A noter aussi l’amertume qu’il relèvera chez les hommes du poste de la DGSE à l’Ambassade d’Alger se sentant écartés de l’enquête…

Et pourtant…

Pourtant c’est en faisant demande sur demande de déclassification de notes « confidentiel-défense »de la DGSE, après diverses auditions que le Juge Trévidic va découvrir (en 2011!) deux notes particulièrement troublantes. Des documents exclusifs déjà révélés ici. Voici la première, (cote D927 du dossier), datée du 25 mai 96, (copie exclusive du document):

 note DGSE déclassifiée doc www.frederichelbert.com

Note n°1. Exclusif. Droits Réservés.

Il y est donc écrit  5 jours avant l’annonce par communiqué du GIA de l’exécution des moines (!): «  les corps décapités des 7 moines auraient été retrouvés dans la région de Ksar el Boukari. L’hypothèse avancée par l’ambassade est que les têtes des moines seront vraisemblablement « livrées » à proximité de l’Evêché, ou de la Maison diocésaine« .

Le second message de la DGSE (4 juin 96, cote D934 du dossier) est encore plus édifiant:  » le communiqué lapidaire des autorités algériennes au sujet de la mort des 7 religieux français comporte des zones d’ombres qui laissent la place libre aux rumeurs et aux interrogations quant aux causes exactes de la mort. Le rapatriement des seules têtes à Alger ne permet pas de lever ces incertitudes« .

www.frederic helbert.com

copie de la 2ème note déclassifiée, document annexé au dossier. Exclu. DR

Est évoquée clairement pus loin  » l’hypothèse d’une possible tentative des services algériens de dissimuler la cause réelle de la mort des moines ». Bref la DGSE a fait son boulot. Seulement voila! A Paris personne, pas un ministre concerné, n’en parlera! Les notes compromettantes pour les algériens iront dormir dans un coffre… Ce qui mettra en rage lorsqu’il les découvrira tant d’années après le crime l’avocat Patrick Baudoin, dénonçant  » coté algérien une dissimulation, l’opacité totale, et coté français, la complicité active et un comportement révoltant et indécent. Alors que l’on savait des choses, que l’on a rien dit, qu’aucune enquête n’a été diligentée par le Parquet de Paris, et que des années encore après, ceux qui savent restent emmurés dans le silence. Au mépris de la Justice française, de la démocratie, de la mémoire des moines« .

Les politiques…

Charles Millon, Ministre de la défense en 1996 affirme au juge n’avoir jamais eu connaissance des notes de la DGSE!!! Renvoyant la balle du coté d’Alain Juppé, grand-ordonateur de la stratégie de l’étouffementalors patron du Quai d’Orsay et donc de l’ambassadeur de France en Algérie, Michel Lévêque…(aujourd’hui à la retraite). C’est lui qui tentera d’organiser une mise en scène déjouée par le père Armand Veilleux accouru à Alger, sitôt la nouvelle de la mort des moines connue. Scène ubuesque à l’hôpital Ain Nadja. Le père Veilleux insiste pour que les cercueils, curieusement plombés, soient ouverst, afin qu’il puisse dire un dernier « Adieu » à ses frères. L’ambassadeur renâcle. « j’irai avec mon tournevis s’il le faut » rétorque le père cistercien. Alors l’incroyable est révélé. Seules les têtes des moines sont là. et les cercueils ont été remplis de sable pour être lestés! l’ambassadeur tente de faire promettre le secret au religieux sur cette découverte qui tourmente profondément Armand Veilleux. Michel Lévêque, dans son entreprise d’obstruction à la réalité ne s’arrête pas là! Il affirmera devant le juge  avoir fait réaiser une autopsie au médecin de l’ambassade présent sur les lieux, et avoir envoyé un rapport complet à Paris sur la base des conclusions médicales. Handicap de taille: Le médecin, appartenant au contingent de la la gendarmerie de l’ambassade,  entendu à son tour va réfuter catégoriquement cette version. Il dit n’avoir jamais manipulé les têtes, daté les décès précisé qu’elles avaient été décapitées, examiné une quelconque radiographie. Le juge lui présente le fameux rapport de l’ambassadeur. « Je n’ai pas fait de constatations, ni rédigé aucune conclusion, aucun rapport » peut-on lire dans l’audition du médecin. Convoqué à nouveau, l’ambassadeur n’en démords pas. La passe d’armes est sévère dans le bureau du juge.

La nécessaire Autopsie…

Le mois suivant Marc Trévidic adresse une nouvelle requête en déclassification d’informations confidentiels ou secret-défense. Dans sa lettre il écrit les mots qui vont l’amener à se décider plus tard à vouloir aller à Alger. «  Il nous est indispensable de déterminer s’il existe ou non des constatations médicales. Nous ne disposons en effet d’aucune radiographie, d’aucun rapport médico-légal émanant des autorités algériennes. Et il s’interroge « Les otages ont-ils été précisément localisés, une opération militaire est-elle la cause de leur mort? ». Il flaire la manipulation… mais aucune réponse ne viendra.

membres de familles, les moines,. Marc Trévidic.. Photos Sphinx.

Alors germe dans l’esprit du magistrat l’idée de se rendre à Tibirine pour aller y pratiquer, avec des experts français, la fameuse autopsie nécessitant l’exhumation des corps. Fidèle à son éthique, il convoque secrètement les familles, pour leur exposer son projet. « Il y a eu des réticences dira plus tard  Françoise Boegat, la nièce de frère Paul, mais le juge a été d’une humanité formidable. Il nous a expliqué qu’il pouvait agir sans notre accord, mais qu’il ne le ferait pas. Il nous a rassuré sur ce qui serait fait techniquement, alors nous avons donné notre accord« .

Suite à quoi, le magistrat a préparé avec soin sa commission rogatoire internationale,  l’a faite traduire en arabe, puis envoyée aux autorités compétentes en Algérie. Qui… comme d’habitude n’ont pas répondu…

Et aujourd’hui?

La vérité et la Justice restent toujours à trouver. Et Nous voila revenu au début de cette enquête avec cette question de ce que serait l’attitude du Président de la République -interpellé la semaine dernière dans une lettre ouverte de l’avocat Patric Baudoin, publiée dans « la Croix« – question qui a amené une réponse quelque peu en demi-teinte: François Holllande a affirmé avoir parlé du sujet au Président Bouteflika. « J’en ai parlé a t-il dit au cours de sa conférence de presse puisque j’ai dit que tous les sujets seraient évoqués. Le président Bouteflika m’a dit qu’il avait donné toutes les instructions, AUTANT QU’IL EST POSSIBLE, (?) à la Justice pour aller jusqu’au bout de l’enquête.

Un journaliste poussant légèrement le chef de l’état dans ses retranchements le chef de l’Etat a interrogé concrètement François Hollande sur la requête précise du Juge Trévidic, François Hollande a ajouté: « Il y a une enquête. C’est à la Justice algérienne avec la Justice française de faire toute la lumière sur ce qui s’est produit »… De la langue de béton armé…

Commentaire sans concession d’un proche du juge Trévidic: « On a connu le président Hollande plus incisif , tranchant, et disert. Cette fois c’était service minimum. Marc Trévidic est encore loin d’être en Algérie. Et 18 ans après les faits, Justice n’a toujours pas été rendue aux moines assassinés, à ceux qui prônaient la tolérance, la non-violence et la réconciliation, sacrifiés sur l’autel d’autres dossiers jugés prioritaires entre deux pays aux relations difficiles, mais qui restent d’indéfectibles partenaires économiques et commerciaux… La France est loin d’avoir tapé du poing sur la table. L’Algérie continue à jouer la montre. Elle sait qu’au delà d’un certain délai, Les meilleurs experts du monde ne pourront plus procéder à une autopsie valable. Mais n’oubliez-pas! Trévidic ne renonce jamais! »

Frédéric Helbert.

NB: le Juge Trévidic n’a toujours pas clos non plus le dossier de l’attentat du RER Port-Royal en 1995 (8morts, 117 blessés). Un dossier ou les SR algériens sont soupçonnés d’avoir mis directement  » la main à la pâte »…


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À propos de l'auteur

Grand-reporter de guerre, (souvent), journaliste d'investigation, multi-médias, tous terrains, membre de l'association de la presse judiciaire, passionné par les phénomènes terroristes depuis le début de ma carrière à Europe11. Tropisme assumé pour le Moyen-Orient et la péninsule arabe-musulmane. Jamais rassasié d'infos,  accro à tous types d'enquêtes et reportages, j'aime explorer le dessous des cartes de dossiers sensibles. En toute liberté. Vos témoignages, vos infos, vos commentaires sont  bienvenus!

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